Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

mercredi 29 février 2012

Écrivains et lavandières (2)

Les « livres de lecture » de l'école primaire ont commencé la danse. La sarabande a continué avec la bibliothèque rose, la bibliothèque verte et les bandes dessinées. Remerciements aux bibliothèques scolaires gratuites qui m'ont approvisionné avec grande libéralité. Les zélites — les bourgeois — ont toujours dit que la lecture gratuite est un pêché. En ce temps-là Jérôme Lindon (patron des éditions de Minuit mais aussi homme d'influence) n'avait pas encore eu l'idée de piquer cinq francs dans la poche des pauvres. Sais-tu qu'il y a une douzaine d'années nos zélites voulaient, au sacro-saint nom de la « création » bien sûr, nous imposer une taxe sur la lecture en bibliothèque ? Les bourgeois n'ont pas lu La Guerre des boutons : « Lebrac ! C'est pas bien, tu fais honte aux pauvres ! »

* * *
Aujourd'hui l'un des grands combats des zélites — les bourgeois zéditeurs de Saint-Germain des Prés et leurs vassaux alliés à Sony & C° — consiste à repousser toujours plus loin le droit d'auteur. Pour « rémunérer les créateurs » on fait payer des droits d'auteur jusqu'à soixante-dix ans après la mort de l'auteur ou du traducteur. Tu t'imagines que l'arrière-petit-fils du plombier va encore présenter chaque année à ton petit-fils une facture pour le chauffage central installé chez tes parents vers 1970 ?
Le Vieil homme et la mer d'Ernest Hemingway. La seule traduction disponible en français a été goretté (1) naguère par Jean Dutourd. Gallimard interdit la nouvelle traduction de l'œuvre par François Bon. Gallimard fait valoir qu'il jouit du monopole de la traduction en français jusqu'en 2047. Sûrement au nom de la « juste rémunération » de l'auteur d'Hemingway mort en 1961. 
Nos cultureux déclinologues catastrophologues toilophobes — des bourgeois — regardent toujours de travers les nouvelles pratiques qui tourneboulent encore une fois le livre et la lecture. La traduction de François Bon est en effet disponible en téléchargement à lire sur ton écran puisqu'aujourd'hui tu n'as pas besoin d'une revue de papier pour me lire ou me répondre. Une monumentale somme encyclopédique qui exigeait dix ou vingt grands volumes loge maintenant sur un dérisoire disque compact.
Ça devient tout de même très contrariant pour nos zélites de ne plus détenir un monopole même avec le pouvoir des capitaux. Ce qui les rend malades, nos bourgeois, ce n'est pas la mort du livre et du disque ou bien leur changement de statut. Ce qui les rend malades, c'est la réduction ou la disparition de leur source de profit. On ne laboure plus avec deux vaches attachées par un joug. Ils ne s'inquiètent pas pour l'avenir des vaches. Ils pleurent parce qu'ils ne peuvent plus nous vendre les jougs. On ne lave plus le linge à la rivière. Ils ne s'inquiètent pas pour l'avenir des lavandières. Ils pleurent parce qu'ils ne peuvent louer aux lavandières un emplacement sur la rive dont ils étaient propriétaires. Parce qu'un tel emplacement se louait ! Le savais-tu ? Et c'est ainsi que des municipalités ont créé un « lavoir public » pour qu'on cesse d'exploiter la misère...
François Bon a donné son travail de traducteur puisqu'il n'a pas le droit de le vendre. On peut le télécharger gratuitement ici ou là sur la toile (2) mais que ça ne t'empêche pas de rendre visite à sa coopérative d'édition numérique qui propose plus de cinq cents titres. 
Écrire le droit au service de tous — et non plus au service des riches pour exploiter les pauvres — serait une petite révolution.
(1) La gent porcine me pardonnera de propager encore une fois une image dégradante...
(2) Je viens de la lire et c'est une magnifique traduction à mettre dans ton soulier numérique.
(3) Correction du 1er mars. Ce sont des acheteurs, ils sont vingt-deux, de la traduction de François Bon qui ont mis en circulation "leurs" exemplaires.  
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Autre sujets. 
— Agnès raconte avec une économie de mots qui m'a touché une scène de la vie quotidienne de pauvre sous le règne de Sarkozy. 
— Europe : pas sans nous ! Appel des 200 pour un référendum sur le nouveau traité européen
— Observation de quelques obstacles médiatiques et des façons dont Jean-Luc Mélenchon s'y confronte. Un beau travail de compilation de Pierre Carles.

mardi 28 février 2012

Écrivains et lavandières (1)


À quelques auteurs près je n'ai plus guère d'intérêt pour la bande dessinée. Mais pas de mépris. Il me suffit de brancher mon rétroviseur mental. Lecture de milliers de bandes dessinées entre huit et treize ans. Des meilleures aux plus mauvaises. Les éditions Fleurus, Pif le chien, Le journal de Mickey, Akim, Zembla, Spirou, Kiwi ou Blek le Roc m'ont donné le goût de Giono et Stendhal.
Les zélites — les bourgeois — ont toujours condamné sans appel toutes les «sous-littératures» du polar à la bande dessinée en passant par la science-fiction. Il ne faudrait jamais oublier son enfance. Je soupçonne certains d'avoir la mémoire sélective. Stendhaaal, ça présente mieux qu'Akim. Eh ben, moi, j'ai lu les deux.
* * *
Il y avait des livres à la maison mais jamais assez pour mon appétit de gosse. Nous avions pour voisins un couple de paysans. Ni riches, ni pauvres. Juste l'aisance toute relative de petits propriétaires qui avaient hérité de la ferme des parents. Ce qui m'intéressait, chez eux, c'était la bibliothèque. Plus de dix mètres de Livre de Poche et de J'ai lu soigneusement rangés. Le Livre de Poche c'était alors ces couvertures un peu racoleuses, presque dignes de magazines à sensation, avec des couleurs foncées. 
Dans cette maison il y avait Camus et Sartre, Mauriac et Giono, une foule de grands auteurs russes et latino-américains, Steinbeck et Dos Passos, une tapée de Français comme Marcel Pagnol, Jules Verne, André Gide. Les classiques Flaubert,  Maupassant ou Zola voisinaient avec des auteurs aujourd'hui bien oubliés comme Pierre Benoît, Gilbert Cesbron ou Roger Vercel. Pour moi c'était la plongée dans une piscine, que dis-je ? dans un océan de bonbons et je salivais comme un chien baveux chaque fois que je passais chez eux. Je restais le nez collé devant le mur aux rayonnages pleins à lire tous ces dos où auteur et titre figuraient dans ce cartouche rondouillard marque d'une époque.
Je venais de rentrer en sixième quand j'ai osé demander timidement. Et j'ai eu le droit d'emprunter un livre. C'était Le grand Meaulnes. Elle ne me l'a prêté qu'à regret en me recommandant, plutôt trois fois fois qu'une, d'en prendre grand soin. La semaine suivante j'ai rapporté le livre avalé en un jeudi. Elle l'a examiné sous toutes les coutures. Mais, moi aussi, j'étais très soigneux. Pas une page du livre n'était écornée. La couverture n'était pas souillée ou endommagée. Le dos n'était pas cassé. Alors j'ai eu le droit de piocher comme un malade dans la bibliothèque des voisins et pendant deux ans je me suis gavé. 
C'est bien plus tard que j'ai découvert que les zélites — les bourgeois — disaient et écrivaient alors que c'était pas bien du tout. Que le livre de poche allait tout bonnement détruire la littérature, catastropher la pensée et cataclysmer le livre. Quel désastre en effet ! Le livre cessait d'être l'apanage des riches...

Guerre de classes (3)

Aujourd'hui on se plonge dans l'histoire d'un autre siècle et on joue aux devinettes. Qui sont les auteurs des citations ci-dessous que François Ruffin a heureusement exhumées dans son livre "La guerre des classes" ? Des partageux couteau entre les dents à n'en pas douter. Des monstres assoiffés de sang. 

— Les maîtres de l'argent, l'argent, l'argent, les nouveaux seigneurs, les maîtres de l'armement, les maîtres de l'ordinateur, les maîtres du produit pharmaceutique, les maîtres de l'électricité, les maîtres du fer et de l'acier, les maîtres du sol et du sous-sol, les maîtres de l'espace, les maîtres de l'information, les maîtres des ondes. Nous ne ferons pas payer cher le malheur de tant de siècles. Mais, pour l'argent, l'argent, toujours l'argent, alors c'est vrai : il ne faut pas trop qu'ils y comptent. (1)

— Nous sommes entourés à tout moment  par une propagande qui retarde la prise de conscience : ceux qui souffrent des injustices de la société n'ont pas toujours conscience des causes de leur malheur. La tâche des partis politiques, c'est une tâche pédagogique qui consiste à expliquer, expliquer, expliquer. Expliquer que le socialisme, c'est la libération de millions et de millions de gens, qui sont emprisonnés dans la prison de la société, qui sont emprisonnés dans les transports en commun, qui sont emprisonnés par des logements misérables, qui sont emprisonnés par des bas salaires, qui sont emprisonnés par l'absence du temps de vivre. Nous essayons de libérer les opprimés, les aliénés, dans une société où les forces économiques sont toutes-puissantes. (2)

— Il a fallu que que les hommes et les femmes de cœur se battent contre la société dirigeante pour obtenir que les enfants de dix ans cessent de travailler quatorze heures par jour dans le fond de la mine, quelquefois les poignets attachés aux machines. Mais quand on disait cela, nous la gauche, que nous répondait la droite ?  "Vous avez peut-être raison, c'est humain, mais le moment n'est pas venu. Vous n'avez pas le droit de laisser la France supporter la concurrence extérieure. Il faut gagner la bataille industrielle." Et chaque foi ç'a été comme ça. Quand la semaine de travail est passée à 60 heures, même débat. Quand c'est passé à 48 heures au lendemain de la guerre de 14-18, même débat. Et quand Léon Blum a décidé de l'abaisser à 40 heures, la même discussion qu'aujourd'hui a eu lieu. (3)


— Pourquoi les mots "front de classe", "autogestion", "rupture", "anticapitaliste", "exploiteurs", "classe ouvrière", "lutte des classes", etc., qui firent notre quotidien, eurent tant de charge émotionnelle et ne freinèrent nullement nos progressions électorales, ont-ils disparu de notre vocabulaire ? Parce qu'ils étaient associés à une pensée marxiste déclinante ? Parce qu'ils se sont usés à l'épreuve du réel ? Parce qu'ils ne représentent plus rien et ne servent à rien, ou bien parce que nous les avons, nous, vidés de leur sens et rejetés au magasin des accessoires ? Où est la juste révision et où commence l'abandon un peu lâche ? (4)

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Quatre citations extraites de "La guerre des classes", François Ruffin, aux éditions Fayard. Lecture recommandée en contrepoint aux discours de tous les Laurent Wauquiez, Jean-François Copé, François Fillon ou Nicols Srkozy. 

"Nos enfants vers l'impossible / Nous montreraient le chemin / Et je voudrais que leurs rêves / Viennent un peu bousculer les miens." Histoire de se remettre dans le bain, voici une chanson de Lény Escudero.





Citations 1, 2 et 3 : François Mitterrand, années 1972 à 1974.
Citation 4 : Lionel Jospin, 1991. Détails des références dans le livre de François Ruffin.

lundi 27 février 2012

jeudi 9 février 2012

Jean-Marie et les déchets sociaux


[Message perso : Jean-François Copé, viens pas me demander des droits d'auteur.] Partageux, blogue autocertifié 100% "minables", poursuit l'euthanasie du "cancer de l'assistanat social", la chasse aux "cloportes" et le balayage des "résidus". 
Les oiseaux mazoutés que je croise dans ma grande ville se retrouvent dans ma campagne natale. 
Quand j’étais gosse, les deux adolescents gentiment disjonctés du village avaient table ouverte dans les maisons de la commune. Jean-Marie venait manger de temps à autre chez mes parents quand il a commencé à montrer les premiers signes de déconnexion du réseau vers l'âge de quatorze quinze ans. Aujourd’hui c’est un service de portage de repas à domicile qui le nourrit dans l’antre dont il ne sort plus guère. Il est né dans cette maison, il y mourra. 
La personne qui lui apporte son repas est désormais près d'être la seule à qui il parle. Puisqu'il voit en tout interlocuteur un ennemi potentiel qui veut lui démolir sa maison pour en récupérer le bois pour le mettre dans le poêle parce que la télé lui a dit l'hiver dernier qu'il y a des gens qui n'ont plus les moyens de se chauffer parce que c'est trop cher et qu'il faut se méfier que la semaine passée y'a encore eu un papé à Nancy ou bien était-ce à Bordeaux qui s'est fait soutirer son porte-monnaie en allant aux commissions par un gars qui n'avait pas d'argent pour manger que c'est vrai puisqu'il l'a entendu dans le poste aux informations d'avant les rigolos qu'il écoute toujours. 
Serge, le voisin de Jean-Marie, est peut-être moins secoué du carafon mais il a un handicap physique en plus de problèmes organiques lourds. Serge, lui, il était fou de gâteaux. Toute la commune savait que ce gosse était capable de faire cinq ou six maisons d'affilée pour y taper la brioche, la tarte aux pommes ou le clafoutis du quatre-heures. Eh bien personne ne lui refusait une part, voire deux ou trois, qu'il engloutissait vite avant de repartir en courant-claudiquant vers une autre maison.
Aujourd'hui mes deux condisciples de la communale perçoivent l'AAH, allocation adulte handicapé. Les personnes qui regardaient Serge et Jean-Marie comme des enfants du village, qui leur servaient sans barguigner repas, dessert ou goûter, qui plaignaient leurs parents d'avoir des gosses fêlés, ces mêmes personnes devenues âgées, les regardent aujourd'hui un peu de travers. Des assistés qui n'ont jamais travaillé ! Des gars qui touchent des allocations sans rien faire et c'est nous qu'on paye avec nos impôts ! 
On oublie que Serge et Jean-Marie n'ont jamais été aptes au moindre travail. Ce serait comme de demander à la dame @SardineMorano de faire preuve d'intelligence quand elle cause dans un micro. On oublie que le village a toujours eu son lot de fêlés ou de non-conformes. On oublie Pierrot, un "original" qui a montré dès son plus jeune âge une capacité exemplaire à l'insubordination sur laquelle même l'armée de l'époque algérienne s'est cassée les dents. On oublie que Pierrot l'original a pourtant mené sa barque et fait une carrière, honorable certes, mais bien éloignée de tout sentier balisé. On oublie Roger, né dans une famille de propriétaires terriens, qui a vécu toute sa vie — poil dans la main, doigts de pieds en éventail — à dilapider tranquillement le patrimoine accumulé par une dizaine de générations. On oublie le vieux Marius complètement siphonné qui vivait avec sa très vieille mère et ne sortait que la nuit. On oublie le curé haut en couleurs, d'une droite qui aurait dû le jeter tout droit dans les bras du Maréchal, curé qui a délivré durant la guerre des certificats de baptême à quantité de gens sans se demander s'ils avaient une gueule bien catholique. 
Une figure de la Résistance l'a interrogé : 
— Combien en avez-vous fait, de ces certificats de baptême ? 
— Je n'ai jamais tenu la moindre comptabilité, pas plus pour ça que pour la quête à la messe, mais ce que je peux vous dire, c'est que je n'en ai jamais refusé un seul. 
Ça avait une autre gueule qu'un Guéant vomissant les civilisations de métèques, négros et bougnoules. 
Pourquoi, dans ce village qui a nourri sans renâcler toutes les variétés de dingues consanguins, fêlés, non-conformes, improductifs, pourquoi dans ce village où catholiques, protestants et libres-penseurs vivaient en bonne intelligence, pourquoi dans ce village où on a vu défiler chaque été pendant les trente ans d'après guerre des "parisiens" qui venaient remercier le curé, pourquoi est-on devenu si aigri ?  
Le refrain de l'assistanat-cancer de la société seriné sur tous les tons et toutes les ondes par Wauquiez et ses complices en crapulerie a fini par pénétrer les consciences. Même ici où, quand j'étais môme, l'on avait encore coutume de garder une assiette pour le chemineau de passage. 
Ils ont tout corrompu. Même les cerveaux. Qu'ils pourrissent dans leurs vomissures !

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Quand Roger est mort, il vivait seul depuis le décès de sa femme. Son fils habitait à trois cents kilomètres. Il n'y avait pas une heure qu'il était mort quand un  voisin l'a retrouvé. Le voisin venait dire bonjour comme d'hab, s'est étonné de ne pas entendre de réponse, et l'a trouvé dans les toilettes, terrassé par une crise cardiaque. 

À son enterrement tout le village trouvait naturel que l'on ait retrouvé un cadavre encore tiède... J'ai songé à cet enterrement quand le cadavre d'un homme a été retrouvé à Strasbourg près de trois ans après sa mort.