À quelques auteurs près je n'ai plus guère d'intérêt pour la bande dessinée. Mais pas de mépris. Il me suffit de brancher mon rétroviseur mental. Lecture de milliers de bandes dessinées entre huit et treize ans. Des meilleures aux plus mauvaises. Les éditions Fleurus, Pif le chien, Le journal de Mickey, Akim, Zembla, Spirou, Kiwi ou Blek le Roc m'ont donné le goût de Giono et Stendhal.
Les zélites — les bourgeois — ont toujours condamné sans appel toutes les «sous-littératures» du polar à la bande dessinée en passant par la science-fiction. Il ne faudrait jamais oublier son enfance. Je soupçonne certains d'avoir la mémoire sélective. Stendhaaal, ça présente mieux qu'Akim. Eh ben, moi, j'ai lu les deux.
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Il y avait des livres à la maison mais jamais assez pour mon appétit de gosse. Nous avions pour voisins un couple de paysans. Ni riches, ni pauvres. Juste l'aisance toute relative de petits propriétaires qui avaient hérité de la ferme des parents. Ce qui m'intéressait, chez eux, c'était la bibliothèque. Plus de dix mètres de Livre de Poche et de J'ai lu soigneusement rangés. Le Livre de Poche c'était alors ces couvertures un peu racoleuses, presque dignes de magazines à sensation, avec des couleurs foncées.
Dans cette maison il y avait Camus et Sartre, Mauriac et Giono, une foule de grands auteurs russes et latino-américains, Steinbeck et Dos Passos, une tapée de Français comme Marcel Pagnol, Jules Verne, André Gide. Les classiques Flaubert, Maupassant ou Zola voisinaient avec des auteurs aujourd'hui bien oubliés comme Pierre Benoît, Gilbert Cesbron ou Roger Vercel. Pour moi c'était la plongée dans une piscine, que dis-je ? dans un océan de bonbons et je salivais comme un chien baveux chaque fois que je passais chez eux. Je restais le nez collé devant le mur aux rayonnages pleins à lire tous ces dos où auteur et titre figuraient dans ce cartouche rondouillard marque d'une époque.
Je venais de rentrer en sixième quand j'ai osé demander timidement. Et j'ai eu le droit d'emprunter un livre. C'était Le grand Meaulnes. Elle ne me l'a prêté qu'à regret en me recommandant, plutôt trois fois fois qu'une, d'en prendre grand soin. La semaine suivante j'ai rapporté le livre avalé en un jeudi. Elle l'a examiné sous toutes les coutures. Mais, moi aussi, j'étais très soigneux. Pas une page du livre n'était écornée. La couverture n'était pas souillée ou endommagée. Le dos n'était pas cassé. Alors j'ai eu le droit de piocher comme un malade dans la bibliothèque des voisins et pendant deux ans je me suis gavé.
C'est bien plus tard que j'ai découvert que les zélites — les bourgeois — disaient et écrivaient alors que c'était pas bien du tout. Que le livre de poche allait tout bonnement détruire la littérature, catastropher la pensée et cataclysmer le livre. Quel désastre en effet ! Le livre cessait d'être l'apanage des riches...
Belle histoire. Maintenant,il y a les bibliothèques municipales. ;-)
RépondreSupprimerJ'avais entendu parler de cette polémique sur le livre de poche, rétrospectivement drôle.
Sais-tu que cette polémique a duré une bonne vingtaine d'années à partir de la création du Livre de Poche en 1953 ? Et sais-tu que des écrivains ont refusé leur vie durant que leurs œuvres soient rééditées en format poche ?
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