Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

mardi 10 janvier 2012

Bernard et les cloportes

Éternelle rengaine : les pauvres sont les profiteurs d'un "assistanat social" qu'il convient de supprimer.

Je connais plein de RMistes. Mais non, ne m’arrête pas, je sucre pas encore les fraises. Le RSA a remplacé le RMI du temps de Martin Hirsch, je sais. Les gens dont je te parle perçoivent aujourd’hui le RSA après avoir perçu le RMI durant des années. Certains, depuis qu’ils ont l’âge de percevoir le RMI.

Des gens "enkystés dans l’assistanat"… Scandale ! Fraudeurs ! Profiteurs ! Tu connais le refrain... Délaissons la morale à géométrie variable et restons au ras des pâquerettes du monde qui m’entoure. 

Tous ces gens bénéficiant du RMI/RSA souffrent de troubles qui relèvent de la psychiatrie. Ça va de la dépression au long cours aux maladies mentales en passant par les TOC, troubles obsessionnels compulsifs, ou les trucs maniaco-dépressifs. Une kyrielle de troubles ou symptômes dont je ne connais pas toujours les noms. Pas de diagnostic personnel — incompétent dans le domaine — je me fie aux médecins qui suivent ces gens. L’un passe chaque semaine à l’hôpital de jour. L’autre fait un séjour de temps à autre dans l’hôpital psychiatrique de la ville ou dans une villégiature rurale de la même farine. Quand un troisième sort du dispositif RMI/RSA, c’est parce qu’il perçoit enfin l’AAH, allocation adulte handicapé, rapport aux petits lutins qui vivent dans son réfrigérateur ou aux voix qui sortent de son placard.

Comme Bernard, vétéran qui perçoit le RMI/RSA depuis maintenant vingt trois ans. Vingt trois ans ! N'en voilà un profiteur ! Bon, ne va pas l'envier trop vite. Bernard dort dans la rue, sous le porche de la médiathèque, dans le machin où tu vas laver ton linge ou bien dans le parking souterrain. S'assoie sur le gros sac contenant ses biens qu'il trimballe partout.

Une assistante sociale lui a dégotté le RMI à sa dernière sortie de prison. Depuis, pas le moindre court séjour en taule : plus besoin de la kyrielle des petits larcins dont Bernard était coutumier pour manger à sa faim de grand gaillard. Multirécidive qui fâchait le juge qui le réexpédiait à l'ombre.

Bernard passe sa vie assis sur le même trottoir : la maison inhabitée qui lui sert de dossier est à vendre depuis dix ans alors personne ne lui demande de partir. Parle aux voitures qui passent. Leur raconte des histoires, les fait rire ou bien les engueule vertement selon son humeur. Attention ! Bernard parle aux voitures. Jamais aux conducteurs.

Quand il est bien luné, il accepte aussi de parler aux quelques personnes qui respectent son intimité sur son carré de trottoir, qui préviennent qu'elles arrivent — toi, tu sonnes avant d'entrer chez tes copains — et qui lui serrent la main — on n'est pas des chiens. Quand ça va pas, Bernard ne parle à personne, pas même à ses deux-trois compagnons de misère, et ça peut durer plusieurs mois. Comme Bernard a un compte en banque où est versé son RSA, le distributeur automatique de billets est le seul à se faire engueuler. Et ça dure ainsi depuis vingt trois ans.

Rappeler sans cesse que l’on a supprimé 50 000 lits en psychiatrie en vingt ans. T’es-tu demandé ce que sont devenus les malades qui occupaient ces lits ?

Bien sûr, les paranoïaques, schizophrènes et tourneboulés d’obédience diverse ne sont pas tous les RMistes. Mais ils représentent tout de même un bien joli paquet de ceux qui ont souscrit un abonnement à vie au RSA/RMI.

Wauquiez voulait supprimer le RSA. Chiche ! Mais, comme certaine droite se proclame humaniste [ne ricane pas], faudra lui rappeler qu'elle doit aussi remettre en service les lits d’hôpitaux psychiatriques, construire par centaines des immeubles de logements thérapeutiques, recruter quelques milliers de psychiatres plus quelques dizaines de milliers d’infirmiers et aides-soignants. Et ce sera bien mieux pour tous nos tapés de la cafetière.

Menu détail, mais Lolo Wauquiez est très attaché à ce détail-là, on verra à cette occasion que le RSA, même additionné de l’AAH, est trèèès bon marché.

———
Cloportes et minables : mots de Jean-François Copé pour désigner des humains qu'il n'aime pas. 

17 commentaires:

  1. Lolo Wauquiez veut supprimer le RSA mais surtout pas le quotient familial. Il ne veut pas qu'on "fasse la poche des classes moyennes et des classes moyennes modestes". C'est un humaniste Lolo. Heureusement qu'il est là pour défendre une certaine idée de la droite sociale.
    http://www.bfmtv.com/quotient-familial-module-reactions-politiques-actu21715.html

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  2. Il a raison le Lolo Wauquiez. La suppression du quotient familial ne pénaliserait que les non-minables.

    Les minables, selon Copé, sont ceux qui gagnent moins de cinq mille euros mensuels.

    Et, horreur ! cette suppression pénaliserait d'autant plus lourdement qu'on gagne très beaucoup d'argent.

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  3. C'est le quotidien Les Échos qui le dit et ce n'est pas un brûlot gauchiste : "Les gagnants [de la suppression du quotient familial] se situeraient parmi les ménages gagnant jusqu'à 3 SMIC (soit 4.200 euros brut par mois). L'impact serait défavorable au-delà."
    http://bit.ly/wxIOZq

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  4. A chaque fois qu'on parle de M. Wauquiez, je ne puis m'empêcher d'ajouter qu'il n'y a pas plus assisté qu'un mec qui, comme lui, a profité de la solidarité nationale pour faire une prépa (LLG/H4), a été payé pendant ses études (ENS/ENA) et a hanté les fonctions électives et cabinets ministériels assez souvent pour que les citoyens français lui paient une rente à vie. En comparaison les personnes qui sont au RSA paient bien plus d'impôts (TVA) et coûtent bien moins chers à l'état que lui. Qui est vraiment l'assisté?

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  5. Ajoutons au commentaire fort judicieux de Hadyba que Wauquiez a bénéficié d'une assistance personnelle pendant toutes ses études : une "gouvernante", une bonne en un mot plus usuel, était mise à sa disposition pour faire sa bouffe, laver ses chaussettes et faire son ménage !

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  6. Wauquiez, Copé... On devrait les condamner au RSA !

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  7. @ des pas perdus

    Bien que je ne sois pas partisan du rétablissement de la peine capitale, j'avoue que ta suggestion m'a fait bien rigoler. ;o)

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  8. ce serait pire que la peine de mort pour eux...

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  9. Bonsoir,

    Vous trouverez pas mal de choses sur ces sujets (et en particulier sur les ci-deant qui défendent l'idéologie du travail, première arme des exploiteurs) sur le site de la coordination des intermittents et précaires

    Faudra utiliser un moteur ou bien copier coller (mais souvenez vous : le travail rend digne !) puisque les liens apparaissent pas ici.

    http://www.cip-idf.org/

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  10. bon et bin je suis peut être la seule que ça choque mais je suis navrée de vous dire, partageux, qu'à dire qu'on devrait enfermer ces gens que vous traitez avec une condescendance terrible (sans savoir si c'est le système qui a fait d'eux ce qu'ils sont ou si c'était présent en eux avant, je trouve que la question se pose, voyez, hein), pour moi vous vous retrouvez à ne pas valoir mieux que ceux que vous fustigez.

    Car oui, l'HP, c'est une prison comme une autre, oui. je ne suis pas partisane de ces "lieux d'accueil", mais LOL quoi, où on enferme les malades les fous les vieux les handicapés... bientôt les gros les moches aussi? tout ce qui ne va pas à la machine, c'est ça?
    triste monde tragique.

    Accessoirement, quand la naissance vous condamne et que la société, dans sa schizophrénie pathétique qui lui fait tenter d'"insérer" des gens qu'elle a exclus dès le stade embryonnaire, n'arrive pas à lever la condamnation qu'elle a elle-même posée contre vous, vous finissez invariablement par vous faire caser "fou".
    ça ne peut pas être le système, hein, c'est forcément vous qui avez un grain, allons...
    on vous cherche une débilité, espèce de con qu'a pas travaillé à l'école, vas donc en formation, une fainéantise, ah mais lève-toi aussi, branleur, et quand on ne trouve rien on vous cherche une dépression (la plupart du temps on vous l'aura créée d'ailleurs à force de vous culpabiliser de n'être pas ce que la cinglée de société attend de vous) facile à trouver.

    (tu déprimerais pas toi si t'avais pas d'avenir à J+2? ça te rendrait pas cinglé de savoir que t'es condamné à crever de naissance?
    Cqfd.)

    C'est pas ça, le partage, partageux.
    C'est pas ça du tout.
    Sur ce coup là vous m'avez cruellement déçue.

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  11. @ Pupuce

    Tu m'as mal compris. Bernard dont j'ai changé le prénom, je le connais depuis près de 10 ans. Il ne se passe guère de semaine sans qu'on se voit (sauf quand il est dans une phase où il ne veut parler à personne). Il est comme il est et ça ne me gêne pas sans quoi je n'irais pas lui serrer la louche.

    Je m'occupe bénévolement de gens qui sont à la rue, de jeunes et moins jeunes en errance, de punks à chiens comme de tuberculeux qui vivent dans de telles conditions qu'ils chopent la tuberculose. D'ici quelque temps je ferai un texte sur la vie et la mort d'un keupon avec qui j'ai partagé plus d'une 8,6 parce qu'on s'aimait bien. Je n'ai hélas ! pas grand chose à apprendre sur la dureté des temps, sur la dureté envers les faibles, sur les enfances catastrophiques ou sur le rejet de tout ce qui n'est pas tout à fait dans la norme établie.

    "Mais les braves gens n'aiment pas que
    L'on suive une autre route qu'eux"
    J'ai bien souvent essuyé des reproches. On me reproche de m'occuper de gens et ainsi de "les attirer chez nous" (la place ou la rue où l'on habite !) Ou bien on me reproche d'être trop "proche d'eux". Té, par exemple, c'est rudement mal vu de bien des caritatifs de partager la 8,6 ou de rigoler avec les "bénéficiaires".

    Les HP, j'étais tout à fait d'accord avec les psys qui ont voulu fermer ceux qui étaient plus ou moins des prisons. Les politiques ont fermé massivement les HP, pour faire des économies, mais n'ont jamais créé les appartements thérapeutiques qui auraient du les remplacer. Pour faire des économies. Et aussi pour ne pas déplaire aux électeurs qui ne veulent pas de fous, de malades ou de vieux dans leur rue ou leur immeuble. Parce qu'il faut un logement, pas un "accueil", un LOGEMENT pour tous nos concitoyens. Et même les fous, les vieux, les malades, les déviants de toute obédience ou les handicapés ont besoin d'un logement. Adapté à eux. Et besoin aussi de vivre en paix sans être les victimes permanentes de la vindicte publique.

    Je rigole quand je vais chez mon dentiste. Premier étage d'une grosse résidence bourge dans un quartier bourge. La résidence a été conçue, voici guère plus d'une vingtaine d'années, pour en interdire vieux ou malades. Parmi d'autres trucs de dissuasion il y a deux ou trois marches pour accéder à l'ascenseur ! La kyrielle de dentistes et toubibs qui occupent tout le premier étage vont, ou bien devoir déménager, ou bien devoir payer les travaux de mise aux normes d'accessibilité handicapés. Aux dernières nouvelles les copropriétaires ne souhaiteraient pas trop autoriser les blouses blanches à faire ces travaux pour "conserver la tranquillité de la résidence"... Mais voudraient pourtant les garder comme copropriétaires parce que les blouses blanches casquent, à surface égale, beaucoup plus de tantièmes que les autres habitants...

    Alors, quand on regarde un fauteuil roulant comme une nuisance, accepter dans ses murs la présence d'un appartement destiné à loger quelque pas-aux-normes...

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  12. Il faut insulter les gens avant de les tuer. Tuer physiquement ou socialement. Dans le cas de Copé, ces insultes préparent donc forcément de nouvelles attaques contre nous.

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  13. ben alors tu me rassures. Quand je me suis retrouvé sans rien de rien en 98 l'assistante sociale m'a refusé le RMI, si bien que j'avais plus aucun revenu, de plus la sécu avait aussi perdu mon dossier… ça dura quelques années. J'avais 58 ans. J'ai vécu en faisant les puces ou brocantes… dans le sud, dans le nord j'aurais crevé. Donc finalement c'est parce qu'elle me trouvait normale alors l'AS ?

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  14. Euh... Me serais-je si mal exprimé pour être aussi mal compris ? ;o)

    Plus sérieusement, tu poses la question du pouvoir des travailleurs sociaux. Ils ont un droit de vie ou de mort sur les pauvres. Certains ont une grande rigueur morale et le sens de l'humanité. D'autres font de l'abus de pouvoir ou sont devenus des militants de droite qui sont là pour en faire baver les petits. Il devient maintenant très difficile de décrocher un emploi de travailleur social et ça commence à calmer un peu les travailleurs sociaux qui traquaient sans répit tous ces "profiteurs du système" qui "ne cherchent pas de travail".

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