Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

mercredi 6 juin 2012

Un « nationaliste »


Un copain me le présente et me laisse seul avec lui. Ils habitent le même quartier à 100% d'habitat social. Des tours et des barres. Des barres et des tours. Une dizaine de milliers d'habitants dans cette zone de relégation : près d'une heure pour s'y rendre en bus depuis le centre-ville. Ou cinq minutes en voiture mais pas de problème pour se garer dans le quartier : les voitures n'y sont guère nombreuses. Pas de commerce, la dernière boulangerie a fermé l'an passé. Pas de centre culturel, de cinéma, de piscine, de salle pour les associations ou de lieu de rencontre. Le dernier bistrot a baissé le rideau voici deux ans. Par contre un taux de chômage et de RSA à faire pâlir d'envie bien d'autres ZUS, zone urbaine sensible, en compétition pour une place sur le podium de la pauvreté généralisée. Une gigantesque zone industrielle et commerciale proche — si on a une voiture... — où cyclistes et piétons doivent avoir le goût du risque chevillé au corps. 
C'est un militant « nationaliste » qui a été permanent du Front National en des temps où l'argent ne manquait pas. Maintenant il vit du RSA et te chante le refrain des assistés étrangers qui sucent le sang des Français. Le gars te dit tout bonnement que Sarkozy et Guéant sont des couilles molles. Lui, au pouvoir, il expulserait « non pas trente mille mais trois millions d'étrangers par an. Pendant cinq ans. » 
— Pfffffffuuuiiiiit ! Ça fait quinze millions ! Faudra bien chercher pour les trouver ! lui réponds-tu rigolard.
— C'est pas difficile. Tous ceux qui ont un grand-parent étranger sont des étrangers. Même s'ils ont la nationalité française. Qu'on leur enlèvera. On a quatorze millions d'étrangers en France. 
Je résume. Si tu as la peau noire ou un peu sombre tu es par définition un africain et il va te reconduire chez toi. En Afrique. Par bateau parce que l'avion c'est petit volume et petit bras.
— Et tous les descendants d'Antillais dont les ancêtres ne se souvenaient déjà plus que leurs lointains parents venaient d'Afrique, vous en faites quoi ? 
— Eux, on les renvoie aux Antilles. Les seuls étrangers qu'on garde, c'est les descendants des Harkis. S'ils sont sages. Parce que s'ils se font prendre à voler une boîte de sardine ou à faire trop de bruit un soir, c'est le bateau tout de suite. 
Dois-je te faire de la peine si tu n'as pas comme moi un arbre généalogique familial qui certifie cinq siècles d'enracinement dans le même terroir depuis le rattachement de mon duché originel à la couronne de France ? Le national n'aime guère les noms qui ne sont pas français. Si tu portes un nom italien ou autrichien que même ton arrière grand-père ne savait pas quand ses ancêtres sont arrivés de ce côté-ci des Alpes, tu risques fort de faire partie de son supplément de bagages sur le bateau. Il n'est pas prévu de s'arrêter au chiffre atteint ou à l'élimination des peaux colorées. Tu es un étranger puisque tu as un nom étranger ! 
— Que chacun reste chez soi !
— Pourtant je note des noms pas français-français parmi vous.
— Il faut des idiots utiles. Chez nous aussi. Pour le moment un Zemmour rend service à notre cause mais on le renverra chez lui le moment venu. Lui aussi.
Le gars te dit tout ça avec un grand sourire désarmant, sans jamais élever le ton, avec une gentillesse et une douceur qu'on rencontre rarement chez les zélateurs de Marine La Peine. Titulaire d'un doctorat, ses propos ne manquent ni de culture ni d'arguments. Tu ne mets pas longtemps à voir qu'il connaît sur le bout des doigts ses classiques de Mein Kampf à Léon Degrelle en passant par Alexis Carrel, Édouard Drumont ou Charles Maurras.
— As-tu réussi à lui faire changer ses idées ? me taquine le copain quand on se retrouve.
— Bah, pour lui, c'est fichu. Mais notre tâche consiste à l'isoler, à  le marginaliser. À expliquer que l'ennemi n'est pas le voisin — différent parce que blanc ou basané, jeune ou vieux, catholique ou musulman — qui vit les mêmes difficultés que nous. Que l'ennemi, qui tire profit de notre division pour se gaver, c'est Bernard Arnault, Vincent Bolloré et François Pinault. Que l'ennemi, c'est la religion d'aujourd'hui, la religion du pognon avec ses prêtres du Medef, ses imams de la banque et ses rabbins du libéralisme.
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Mise à jour décembre 2014. N'ayant pas la télé je ne connaissais pas Zemmour (prononcé avec un accent arabe avec douze Z et six m par mon interlocuteur). J'ai découvert l'homme et son œuvre — merci internet — à la suite de cette rencontre. Ça m'avait déjà bien amusé à l'époque. Mais les propos récents de monsieur Zemmour, dont la toile se fait l'écho, m'ont beaucoup diverti. Il sera du voyage...
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Du côté des potes.
Le cri du peuple pour le ebouzzing, parce qu'avec plus de bouse tout le champ (social) est mieux fumé, dixit gauche de combat
Les ceusses qui m'ont donné l'idée de raconter cette rencontre. À gauche pour de vrai qui cause de l'hétérophobie, la haine de l'altérité, une idée développée naguère par Albert Memmi. Alexis Corbière le chouette prof d'histoire qui nous donne régulièrement des cours sur les hommes et les idées brunes. Et puis le blogue d'Annie qu'avec son nom de famille je suis pas sûr qu'elle passerait sa retraite peinarde avec mon lecteur de Degrelle aux commandes. 
Nuit et brouillard de Jean Ferrat-Tenenbaum avec une introduction où il parle de son père et une postface à ne pas manquer. 

5 commentaires:

  1. et tes arguments "économiques" tu lui as servi ? il en pensait quoi ?
    je reviens d'un quartier pas riche mais le plus pauvre de la ville, mais rien n'a voir avec celui que tu décris (dans mes pérégrinations à travers la France j'en ai connu)… m'enfin on vient de commencer un "café culturel". J'ai fait un exposé sur la crise de 29 en tâchant de montrer les parallèles d'avec maintenant. C'était très compliqué… ch'suis pas sûre qu'ils aient tout compris… on fait comme on peut. (pas que ça)
    mère Italienne… donc mon nom à consonances flamande … pourrait être confondu avec un nom du ch'nord où j'ai jamais mis les pieds.

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  2. whaooo!!! o, a beau connaître ça par coeur ça bouge les tripes!!!!

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  3. J'ai jamais songé à tenter de convaincre une pierre de s'attendrir. ;o)

    Et j'avoue que j'ai surtout écouté. C'est pas tous les jours que tu rencontres un type qui te remet en tête les idées de Drumont (la France enjuivée) ou l'eugénisme cher à Alexis Carrel (il y a encore aujourd'hui des rues et places de France qui portent le nom d'un auteur fétiche de Adolf Hitler !)

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  4. … voilà c'est sur ce raisonnement que je censure plus les fafs sur mon blog ça permet de connaitre ce qu'ils ont dans la tête… mais ils disent plus rien ces temps-ci.

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  5. Quand les frontistes de droite parlent, ça donne des suées.

    Moi, j'ai de la chance : un de mes aïeuls cent pour cent made in France a été guillotiné pendant la Révolution pour avoir planqué un évêque ou je ne sais plus quoi chez lui. Si l'extrême droite arrive au pouvoir, je suis donc à peu près certain que ces fous me garderont.

    Quoique...

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Vas-y pour tes bisous partageux sur le museau !