Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

mardi 29 mai 2012

Travaux de Georges Navel (1)


« Il y a six mois que je n'ai pas dormi dans un lit. J'ai bourlingué tout l'été. J'ai vu de nouvelles choses et refait malgré moi connaissance avec des anciennes.
Dormir ou manger, j'ai vécu à terre.
Le travail m'a conduit ici et là, j'ai suivi sa piste. D'anciennes pistes et de nouvelles pistes, le gibier du travail est rare. Va-t-il se dérober à présent ?
En plaine, j'ai cueilli le tilleul, en montagne, retourné le foin. Des bricoles qui ne m'ont rien rapporté.
Dans la haute montagne, j'ai fait du terrassement, dans les Basses-Alpes, la récolte de la lavande, celle du sel aux salins d'Hyères.
J'ai fait de mon mieux, en traquant la bête du travail pour épargner sur ma chasse. Je me suis nourri le plus économiquement qu'il est possible, sans user du restaurant ni de l'hôtel. J'avais sur moi l'hôtel-restaurant : mon havresac, la marmite, la tente et les couvertures.
Je n'ai pas suivi le caprice, mais le gibier du travail. Pour l'automne, j'aurais voulu être en Espagne. Il fallait quelques avances pour m'y rendre. Là-bas, sans doute, j'aurais trouvé à m'employer à la récolte des oranges, vers Valencia.
L'année a été pluvieuse. Les journaux ont signalé des inondations. Je suis arrivé aux salins d'Hyères à l'époque où, normalement, commence la récolte. La direction des salins a estimé qu'il fallait attendre, qu'un temps plus favorable permettrait une récolte plus abondante. Quinze jours, un mois d'attente, sur lesquels je ne comptais pas. 
Au début, j'étais noyé d'inquiétude. J'ai cherché du travail ailleurs, il n'y en avait pas. Les vendanges aussi commenceraient avec un sérieux retard. Quoi faire d'autre ? »
Ces lignes sont extraites de Travaux de Georges Navel, un livre paru en 1945, que l'on trouve aujourd'hui en Folio Gallimard. 
Nous sommes en maraude un soir de veille du premier de l'an. Il gèle à pierre fendre. Un jeune garçon nous accoste. « Je peux avoir un café ? » On est bien repérables avec nos bouteilles isothermes en bandoulière... On lui sert son café. Mehdi est bien habillé, bien coiffé, porte des vêtements propres, tient en laisse un chien superbe. Il est beau gosse et ne laisse pas indifférente une jeune maraudeuse. On est persuadés que c'est un gars du quartier qui promène son chien avant de rentrer au chaud. Juste un jeune garçon un peu seul qui a envie de causer ce soir.
On papote. On rigole. On sympathise. Et c'est au bout d'une demi-heure que Mehdi finit par nous dire qu'il dort dans sa voiture. Je ne vais pas répéter la litanie des chantiers déclarés et des boulots au black. Mehdi nous raconte la chasse au travail comme Georges Navel. Juste remise au goût d'aujourd'hui. Avec la voiture qui remplace la tente. Le fauteuil de voiture qui remplace la terre. Le camping-gaz qui remplace le feu de camp et la marmite pour faire cuire les nouilles. Et la pose de placo qui remplace le terrassement à la pioche.
On finira ce soir-là par trouver un lit au chaud pour Mehdi. L'éducateur du foyer d'hébergement d'urgence râle très fort. « Merde, une arrivée la veille d'un jour férié ! Et avec un chien en plus ! Le 115 fait chier ! » Mais force reste à la... force. La préfecture a donné des consignes pour ne pas avoir de morts durant la période de Noël.
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« SDF ». Une chanson d'Allain Leprest, musique de Romain Didier. 
Version tzigano-ginguette-trash par la Rue Kétanou. 
Version symphonique par Sanseverino. 
Version klezmer par Romain Didier. 
Version par Allain Leprest.
 

1 commentaire:

  1. daniel tessier10 juin 2012 à 11:38

    Il y a 1 tas d'articles intéressants sur l'ami G. Navel sur internet. Cet auteur m'a accompagné il y a de nombreuses années. Mais il est d'actualité comme vous le signalez avec justesse.

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