« Protéger les faibles contre les forts, c’est l’essence du libéralisme. » (Christine Lagarde)
« La récolte du sel n'est plus le rendez-vous d'un damné avec son enfer, mais celle d'un travailleur avec une tâche et des copains retrouvés d'année en année. Mais, pour un débutant, c'est la galère. La peine du début est difficile à surmonter. Dès le matin il faut faire appel à la résistance. Les forces s'épuisent longtemps avant la fin du jour. Le coup de sifflet d'une pause est longuement attendu. La brouette est sa pesante charge dans les bras, sous le fouet du soleil, on est comme un vieux cheval dans une côte. L'heure du déjeuner, à l'ombre d'un arbre lointain, met une trêve à la souffrance. Corps étendu, la tête à l'ombre, le repas expédié, les forces se réparent dans un oubli total, une douce fermentation de rêve et de bien-être.
Mais la clameur de la reprise s'élève bientôt. Après le sommeil qui semble venu des profondeurs de la terre, comme l'état de profond repos des choses naturelles en été, c'est la réapparition dans le monde humain de la tâche, dans le cauchemar blanc et la lumière crue.
Les membres las et douloureux, la tête lourde, les forces vidées, on reprend une tâche qui exige un trop-plein de forces pour être subie. On se sent damné, séparé pour toujours de la communauté des vivants, l'âme et le corps desséchés par la torture du travail.
Ironiquement, pendant qu'il est si dur de trimer pour arracher l'existence, des richesses sont tout près gaspillées : vrombissement des moteurs, coups sourds des grosses pièces des cuirassés pendant leurs essais de tir, claquements des mousquetons des fusiliers marins qui s'entraînent à proximité dans les marais.
On rêve de mourir, de crever pas loin dans le silence bienheureux d'un petit bois. On se sent vivre dans un monde qui n'a ni queue ni tête, comme si l'homme avait été jeté dans la vie comme dans un marais et qu'il ne puisse s'y maintenir qu'en se châtrant de sa conscience, en se scalpant de sa raison.
Sur le chantier, rien n'est prévu pour nous. Nous sommes traités en bétail, en hommes durs. Pas un seul coin d'ombre organisé pour la pause. »
Deuxième extrait de Travaux de Georges Navel disponible en Folio Gallimard. L'un des plus beaux livres parmi tous ceux que j'ai lus sur la condition ouvrière. Si tu ne dois en lire qu'un seul sur ce thème, c'est sans doute Travaux que je te conseillerai.
C'est Jean-Pierre qui m'a fait découvrir Navel.
Jean-Pierre. Une culture littéraire encyclopédique. Lecteur insatiable, infatigable, exigeant. Toujours deux cents livres en attente de lecture entreposés juste à côté de son lit pour être à portée de main. Émile Zola, Victor Hugo, Céline, Charles-Ferdinand Ramuz, Louis Guilloux, les écrivains prolétariens, le Prix populiste, Octave Mirbeau. Et Navel. Et tant d'autres. Je fais des oublis dans son panthéon littéraire personnel mais il ne va pas me tirer les oreilles.
Jean-Pierre. Ouvrier. Carrière de peintre en bâtiment commencée à quatorze ans. Mort, après quelques années de retraite, d'un cancer sûrement dû aux composants chimiques des peintures respirées de quatorze à soixante ans. Et la retraite à soixante ans ce serait un luxe qu'on ne peut plus se payer !
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Partageux, t'es grave out avec tes chansons en français. Ok, good buddies, let's sing in English in order to be fashionable... Joe Flood & Andy Villamil, The Bad Reputation. Soixante ans après la création de La mauvaise réputation de Georges Brassens.
Merci à vous d'exister. Bisous 8-))
RépondreSupprimerTip top. a très vite Partageux!
RépondreSupprimerJe viens de le commander parce qu'introuvable en librairie. Sinon, tes illustrations apportent une belle perspective au texte.
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