Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

vendredi 11 mai 2012

Franckie et les Sarko Boys Bands (Lidl remix)

Franckie fait la manche, assis pépère au soleil, contre le mur du Lidl face à la cité HLM. Il y est souvent. Ici personne ne téléphone à la police. Il ne se fait pas embarquer au bout de dix minutes comme devant certain citymarché du centre que c'est rien que des raclures et qu'il en crache par terre en parlant de ça. 

Franckie le cow-boy à moustache traîne ses bottes et son blouson en jean délavé depuis douze ans dans la ville. Toujours aussi maigre qu'un sidéen avant le grand saut. Toujours aussi costaud qu'un nouveau-né prématuré. Toujours seul dans la rue en grande conversation avec lui-même que tu dirais qu'il parle à sa main lancée devant lui et qu'elle lui répond vivement. 
Jamais facile de comprendre Franckie. Pas seulement parce que l'on doit faire un judo linguistique peu commun. Il est arrivé  en France, de sa Germanie natale, voici déjà vingt-cinq ans. Franckie parle un anglais globish bien épicé d'allemand, saupoudré d'un peu d'espagnol venu d'on ne sait où et pimenté de rares bouts de phrases dans un français impeccable qui ne déparerait pas dans le salon de madame la baronne.
Jamais facile de le comprendre. Franckie est capable de te parler de ses ennuis de santé, de la dureté des temps où ce que la manche n'est plus ce que c'était qu'on ne sait plus à quel Saint Trimard se vouer, de son dernier repas au resto social où une bande était trop bruyante à son goût d'ermite, de la 8,6 que tu viens de lui offrir et qu'il a rangé avec soin dans son sac pour demain parce que le flotteur est au niveau optimal aujourd'hui que ce serait dommage de gâcher en abusant et des mérites comparés de Jéhovah et Allah surtout que le soleil est magnifique et qu'on se sent revivre après ce long hiver pourri. Tout ça bien sûr dans le souffle d'une même phrase... ¡ Si signor ! Mein god is witness, je te jure !

Tu as beau connaître l'oiseau depuis que tu habites la ville, tu ne sais pas toujours très bien à quoi t'en tenir dans des propos décousus que tu peines à suivre malgré l'entraînement. Alors ce sont les autres traîne-misère qui complètent les pièces manquantes du puzzle. Franckie le solitaire squatte depuis des années une maison pas trop pourrie où il a même l'électricité et le chauffage central — un luxe dans le milieu ! — qui lui permet de ne pas mourir congelé lors d'un hiver où le thermomètre tutoie la Sibérie. Personne ne sait pourquoi personne ne s'est jamais soucié de l'en expulser. Ni comment diable il a pu se débrouiller pour se faire brancher gaz et électricité à son nom avec sa mosaïque langagière déroutante et son comportement que pas un psychiatre de niveau amateur débutant ne met plus d'une minute à se dire que le Franckie, tout de même, il est bien secoué. 
Quand j'entends la triste rengaine moderne sur les assistés [retiens bien ce mot qui permet de faire carrière en politique] serinée par tous les Sarko Boys Bands de la planète, je pense à Franckie et à tous ses collègues taillés dans le même bois. Et je ricane. "L'assistanaaaaat, c'est la vie que je mèèène avec toi" brament StonéCharden. Je ricane. Comment diable nos minables chanteurs de ritournelle débile feraient-ils pour rentabiliser Franckie ?


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La première fois que j'ai croisé Frankie dans la rue, j'ai tout de suite pensé à La folle de Mama Béa. Cette façon de lancer la main en avant que Mama Béa a si bien su rendre...









2 commentaires:

  1. Quand je donne autre chose que de l'argent, c'est plutôt de la nourriture, l'alcool je sais qu'ils en achètent avec les sous.
    Sinon, (très) bien écrite, la chronique :)

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Vas-y pour tes bisous partageux sur le museau !