Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

jeudi 20 mars 2014

Les mystères de la gauche 3/

En lisant Les mystères de la gauche de Jean-Claude Michéa aux éditions Climats, il m'est revenu cette phrase de Günther Anders glanée je ne sais où : « on n'évalue pas une idéologie aux réponses qu'elle apporte mais aux questions qu'elle évacue. » 

Un grand-père de mon entourage mort voici quelques années n'a pas participé chaque matin à la croissance. Je t'explique. De l'âge de vingt ans jusqu'à plus de quatre-vingts ans il a toujours utilisé le même rasoir ! Trois-quatre coups d'affûtage sur un bout de cuir et c'était reparti pour un jour de plus. Je songeais à ce mauvais consommateur en lisant les lignes de Michéa qui suivent. 

« Ce système de l'obsolescence programmée permet d'éclairer de façon plus précise la différence de nature qui devrait exister entre une société socialiste (ou décente) et une société capitaliste. 

« Le fait, par exemple, qu'il soit techniquement possible (et ce depuis très longtemps de fabriquer de ampoules électriques dont la durée de vie est supérieure à celle d'une vie humaine ne présente — du point de vue d'une société fondée sur le primat de la valeur d'usage et le souci écologique — que des avantages évidents (la société pourra ainsi choisir d'affecter à d'autres fabrications les économies réalisées, tout en réduisant considérablement la quantité de déchets produits). 

« Du point de vue d'un système fondé sur le profit et le primat de la valeur d'échange, en revanche, il est clair que la généralisation d'une technologie de ce genre (simple, robuste et durable) est fondamentalement incompatible avec les exigences de l'accumulation du capital (ou « croissance ») et de l'enrichissement continuel — en droit sans limites — des grands industriels et des grands actionnaires. 

« C'est d'ailleurs précisément dans le but de se protéger contre les effets économiquement catastrophiques de ce type d'invention beaucoup trop utile que le cartel des fabricants d'ampoules électriques (le fameux « Phœbus », entente internationale qui regroupait notamment, à l'origine, Philips, Osram et General Electric) en était venu, dès 1925, à concevoir et imposer le système de l'obsolescence programmée (pratique désormais universelle, de l'industrie automobile à celle de l'informatique ou de l'électroménager), c'est à dire en fin de compte, celui du sabotage méthodique — et scientifiquement organisé — de la plupart des marchandises destinées à être vendues sur le marché capitaliste mondial. Tel est, sans doute, l'envers le plus cynique de la vertueuse croissance ».
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« Une société socialiste n'est évidemment pas hostile à l'idée d'innovation en tant que telle. Elle implique uniquement le rejet des innovations inutiles (« l'accumulation de gadgets — écrivait Orwell en 1945 — que l'on considère aujourd'hui comme désirable et civilisée ») ou, a fortiori, nuisibles pour la nature et l'humanité. En se fondant sur cette distinction philosophique, l'homme pourrait alors « utiliser avec discernement les produits de la science et de l'industrie en leur appliquant à tous le même critère : cela me rend-il plus humain ou moins humain ? Et l'horreur instinctive que ressent tout individu sensible devant la mécanisation progressive de la vie ne serait pas considérée comme un archaïsme sentimental, mais comme une réaction pleinement justifiée. » (Georges Orwell, Les Lieux de loisir, 1946).
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Photo Des pas perdus. « Les goûts d'Olga », un petit bijou d'exercice de style de Gérard Morel.

6 commentaires:

  1. Je finis de lire Propaganda (Bernays 1928) ; ce qui me tue c'est que le gars il croyait vraiment que l'information allait contraindre les entreprises à un comportement plus moral or si on fait le lien avec le dernier billet de cui-cui, c'est un peu l'inverse qui se passe ; on s'est toujours trompés camarades, les plus grands rêveurs, ils sont de droite !

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    1. La gauche actuellement notamment dans les milieux ecolos fait souvent l erreur de croire que le progrs ou la notion de progres tue la democratie." Obsolescence programmee que decris partageux dans son billet n est pas en soit en progres sauf pour ceux qui veulent plus de capital.en ce sens je pense qu l on devrait cesser d croire que le capitaliste a pour but d produire pour le profit. Si demain celui ci peut fermer des usines detruire de la production pour faire plus de profit il n hesitera pas; c est d ailleurs deja ce qu il fait depuis pas mal d annees en europe.je trouve que trop souvent la gauche croit que le capitalisme a pour but de produire pour le profit mais ce que veut ce dernier ce n est pas produire pour le profit ce qu il veut c est aussi parfois detruire pour le profit y compris en fermant des usines comme florange ou autre.
      Cordialement philippe

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    2. Oui Philippe, tu as raison, le capitalisme n'a pas pour but de produire. Son seul but est le profit et non les voies qui y conduisent. Le capitalisme d'aujourd'hui génère du pognon même sans activité réelle grâce aux diverses spéculations et on invente par exemple toujours de nouveaux "instruments financiers". À la limite on ne peut même plus parler de "valeur ajoutée" qui devient une notion obsolète. Il me semble que le plus clair de la gauche, même quand elle ne mérite guère ce nom, est bien consciente de la chose. Par contre une partie de la gauche semble bien démunie pour y remédier…

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    3. Le remède ne sera pas évident tant des années de conditionnement ont anesthésier tout un peuple "gauche "comprise. Tous les jours à mon niveau personnel je le vois dans mon travail; Cependant je pense que déjà il faudrait cesser de voir le capitalisme comme étant à chaque fois productiviste; celui ci ayant pour but avant tout le profit sans avoir besoin de forcement produire... Cette conception on l'a voit marquée pourtant noir sur blanc dans le manifeste écosocialiste du PG et je pense que c'est une erreur d’appréciation.
      L"'exemple des instruments financiers dont tu parles en sont d'ailleurs la preuve car le capitalisme n'a pas forcement besoin de production pour créer de la richesse, il a même parfois tout intérêt à la détruire cette derniere pour augmenter son profit.De même dans la doctrine productiviste du PC l'association de l'idée qui consiste a croire que le productivisme rimerait forcement avec progrès est aussi une idiotie celui ci pouvant être détourné par le capital toujours dans un but de profit...Les Gaz de schiste en est un exemple probant a mes yeux. IL faudrait donc je pense retourner a l'origine même du mot produire et surtout parler d'avantage de gaspillage organisé par le capital. Enfin bref je pense que opposition ces dernières années entre gauche productiviste et anti productiviste est une idiotie de plus qui permet en tout cas au capitalisme de continuer a vivre en toute tranquillité celui ci n’étant jamais totalement dénoncé par ces ennemis que ce soit par les productivistes ou les antiproductivistes de gauche.

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  2. Enfin je voudrais ajouter que le produire autrement (que le systeme capitaliste) prend la toute sa dimension mais derrière cela il faudrait aussi évoquer clairement le contrôle des moyens de production par ceux qui créent la richesse, ce dont une partie de la gauche bien pensante y compris au front de gauche ne veut pas entendre. En effet bon nombre croient encore naïvement que le capitalisme peut être moralisé par des taxeset, trop souvent cette gauche dans son ensemble peine a définir réellement ce qu 'est l'ennemi capitaliste oubliant jusqu’à ce qu’était la socialisation des moyens de production pourtant évoquée comme but dans la charte fondatrice du syndicalisme en France...La charte d’Amiens...

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  3. Moi je crois qu'il faut miner le pilier-travail en tant que valeur de reconnaissance d'autrui, d'ailleurs ses défenseurs s'entendent très bien à le miner en tant que valeur tout court.

    De plus en plus de gens autour de nous ne travaillent pas ou plus, ne retravailleront jamais. Ils sont inemployables pour toutes les raisons qui font que l'on est et devient impossible à employer (trop vieux, pas assez qualifié, trop de trous dans le CV, pas mobiles, habitant dans des coins sans bassin d'emploi...).

    Les autres les méprisent parce qu'ils les considèrent comme vivant à la charge de la société, le fait de travailler étant une valeur de reconnaissance (que faites-vous dans la vie = de quoi vivez-vous et combien ça vous rapporte ?) en même temps qu'une preuve de capacité d'adaptation à la société, et de capacité de participation à celle-ci.

    Or, le système a jeté dans les cordes une part si importante de la société qu'un tel système de valeurs ne peut plus avoir cours. La mise en place d'un revenu de vie et la résolution de la grave question du mal-logement par la remise en cause du principe de propriété privée seraient quelques pistes à explorer pour une gauche qui voudrait tenter un rapprochement avec les réelles attentes du peuple.

    Demande t-on à travailler ou à vivre sa vie selon ses aspirations ? A un moment de l'Histoire humaine où le travail ne remplit plus son office de départ, qui était de gagner sa vie et d'évoluer selon une progression ascendante, cette gauche à inventer (car elle n'a jamais existé en fonction de telles idées) gagnerait à envisager la fin du productivisme - la mise à bas de la valeur-travail -, pour se recentrer sur une donnée qu'elle n'a jamais défendue, qui est celle de la qualité de la vie au travers d'une émancipation de chacun à l'endroit de contraintes héritées de l'ère industrielle.

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Vas-y pour tes bisous partageux sur le museau !