Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

mercredi 22 mai 2013

Marie-Antoinette écrit dans Libération



Le gars qui me prend en stop paraît bien fatigué. Il est médecin généraliste dans une ville moyenne du Sud-Ouest de la France. 

— Ma ville dépend de quatre grandes entreprises qui, avec leurs sous-traitants, sont les employeurs directs ou indirects du plus clair des salariés. Quatre entreprises qui font la pluie et le beau temps local. Et vous connaissez le fond de l'air comme moi. Les entreprises changent de mains, restructurent, réorganisent, élaborent une nouvelle stratégie, réduisent les coûts, compressent les dépenses, augmentent la productivité, enfin bref, les refrains habituels... 

En l'écoutant je vois vite qu'il n'est pas épuisé comme je le craignais — le voir piquer du nez sur le volant... — mais très démoralisé.

— Tous les dix-huit mois environ on a une grosse secousse dans l'une des quatre boîtes. Un changement de groupe financier, ou une nouvelle direction, ou un nouveau plan de production, ou... Une nouvelle aggravation des conditions de travail ou bien un évènement qui inquiète tous les salariés de la boîte et de ses satellites. Qui ne savent pas ce que sera demain pour eux. Qui craignent les licenciements. Qui travaillent dans des conditions toujours plus difficiles. Je retrouve ce climat anxiogène dans mon cabinet. Des gens se plaignent de souffrir de ceci ou de cela. Le médecin ne trouve pas grand chose. Ils n'ont pas de troubles organiques et c'est confirmé par les analyses. Mais la personne voit qu'ils sont inquiets, angoissés, tendus comme des cordes de piano par une ambiance au travail effroyable ou par la difficulté voire l'impossibilité de retrouver un emploi quand ils sont licenciés. 

Ça bouchonne sévère sur l'autoroute. Il a tout le temps de bavarder.

— Chaque coup de grisou dans une entreprise est un sale moment. Pour nous médecins, un licenciement collectif ou une nouvelle organisation est comme une rubrique nécrologique du Figaro qui annoncerait à l'avance combien de patients on va enterrer. Parce qu'à chaque fois on se retrouve avec tout un lot de dépressions couronnées de plusieurs suicides. 

Il en a lourd sur la patate, mon toubib, et la rencontre d'un autostoppeur est une aubaine tant il a besoin de parler à quelqu'un.

— Chez nous les suicides ne se font pas dans des draps de soie. Loin de la prise d'un cocktail de médicaments qui endort doucement. On a des pendaisons. Vous imaginez le spectacle pour le gosse ou l'adulte proche qui découvre le pendu ! Et puis on a des ingestions de désherbant. Là, c'est affreux. Parce que bien souvent les gens ne meurent pas aussitôt. Aucun antidote connu nous disent les fiches de neurotoxiques. Alors les gens meurent à l'hôpital devant des médecins impuissants. Et ça prend de plusieurs heures à plusieurs jours. L'horreur quand vous devez expliquer à un proche que la médecine est désarmée et que l'issue est fatale.

Deux désherbants souvent utilisés pour les suicides, malgré la présence de vomitif, étaient encore en vente libre partout à l'époque de la rencontre de ce médecin. Les matières actives de ces herbicides sont maintenant interdites à la vente dans l'Union européenne. 

Il est très mécontent, mon médecin. Lui, il aurait bien vu le gouvernement faire cesser ce qu'il nomme la dictature de l'argent. Châtier les sauvageons à cravate et mallette. Réprimer la violence de la racaille financière qui tue ses patients. Punir avec sévérité ces brigands assoiffés de fric pour éviter la récidive. Faire payer très cher ou exproprier sans indemnité tous ces salopards à l'abri des difficultés dans leurs tours de bureaux. Mais Lionel Jospin vient de dire en substance : « Qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse ? J'y peux rien, moi, les gars ! Chuis rien qu'un pauvre premier miniss. » Et ça, mon docteur Toubib, ça ne lui a pas fait plaisir du tout. Nib de nib. L'ex-électeur du PS s'en étrangle de colère. 

— Mais qui va arrêter ce massacre si même le premier ministre socialiste refuse de botter le cul de riches jamais assez riches qui en veulent encore plus et toujours plus ? Mais combien d'existences saccagées, combien de morts lui faudra-t-il ? 

Une Marie-Antoinette pérore sur les suicides au travail dans une tribune publiée par Libération. Tu penses, près de quinze ans après ma rencontre avec ce médecin, qu'elle proposerait elle aussi d'en finir avec la loi de la jungle à l'origine du mal ? 

Ah mais non, Marie-Antoinette fait la leçon aux suicidés. « Ils peuvent changer d'emploi. » Comme on peut manger de la brioche. « Ils sont des manières de terroristes. » Faut oser.

Marie-Antoinette dénonce « l'apparition d'une conception psychologique du travailleur. » Le négro et la femme n'ont pas d'âme, le travailleur non plus. Faut oser. 

Marie-Antoinette fait aussi la leçon aux journalistes. « Les media devraient être sanctionnés chaque fois qu'ils annoncent que ces actes terribles sont la réponse au désespoir au travail. » Faut oser.

Marie-Antoinette fait la leçon à tous les salopards. Elle n'a pas un mot au sujet de la finance ou du libéralisme. Les salopards sont ceux qui se laissent gagner par le désespoir comme ceux qui ont le toupet de le dire dans le journal. « On devrait donc déconsidérer le suicide [...] de la même manière que l'on traite les actes de terrorisme. » Elle insiste : « Un journalisme responsable devrait en effet affirmer : Nous, on refuse de discuter avec des terroristes. Et donc considérer les causes du suicide [...] comme un mystère. » Faut oser.

« Les cons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît. » (Michel Audiard)

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Marie-Antoinette a des avis d'une profondeur vertigineuse sur bien des sujets. C'est l'OPIAM, observatoire de la propagande et des inepties anti-Mélenchon, qui m'a engagé dans la lecture de Marie-Antoinette Iacub. 

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La faim dans l'monde ça la déprime
Elle lui préfère la vie des stars
Chez elle y'a tout qui fait régime
Faut voir c'qu'on lit sous les séchoirs
En habitant au d'ssus d'Valence
Si elle est noire douze mois sur douze
C'est sûr qu'elle est de Pétasse-Blues

Pétasse-Bluesune chanson de et par Romain Didier.



9 commentaires:

  1. Les médecins du travail font l'objet de poursuite ... A défaut de résoudre les causes...
    http://www.bellaciao.org/fr/spip.php?article135265

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    1. Quand le messager apporte une mauvaise nouvelle, on punit le messager. On connaît ça depuis la Grèce ancienne mais la recette semble toujours soulager les puissants. Dans le même registre on a l'inspection du travail qui rétrécie grâce aux décisions de notre actuel gouvernement.

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  2. Je constate que nous avons les mêmes valeurs... :-)
    Romain Didier, et cette chanson, entre autres...

    Quant aux pétasses, elles sont partout, à la télé, à la radio, et dans les journaux. Pour Marcela-Martine, se taper DSK juste pour pondre son torchon bien juteux et bien glauque est révélateur. Beuark...

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    1. En lisant la prose de Marie-Antoinette, avant même d'écrire la première ligne de mon texte, je savais déjà quelle chanson j'allais mettre en bas. Elle me paraissait tout particulièrement adaptée au cas. ;o)

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  3. Romain Didier ? Récemment ma fille et ses amis chantaient ses chansons en sa présence.

    J'étais là, bien sûr. Je n'allais pas manquer de faire le chemin pour cela.

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  4. L'observatoire des inepties anti-Mélenchon ?

    Mais il est doux comme un agneau Mélenchon ! les autres se trompent en le diabolisant ! y'a pas longtemps , il voulait encore être le 1er ministre de l'anti social Shroderholland , sachant pertinemment comment fonctionne la 5éme république , réellement ! .. qu'il faut évidemment l'approbation du monarque , pour nommer les ministres !

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    1. Je crains fort que Mélenchon, en émoussant ses prétentions, ne se rende "acceptable" par la camarilla néolibérale, donc ne se rende inutile pour les espoirs d'un vrai changement

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  5. Salut Partageux,
    Terrible le témoignage de ce médecin ! Encore plus terrible le mépris de celle que tu appelles Marie-Antoinette. Avec de tels zozos, on n'est pas sortis de l'auberge.

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  6. @ Joël
    @ Leunamme

    Oui, il y a un fosse infranchissable entre la plèbe et les grands de ce monde. Entre les deux une gauche (du FdG au NPA en passant par LO et Cie) qui n'est helas pas toujours à la hauteur de la situation. Il n'y a certes rien de bon à attendre de zozos comme Marcella Marie-Antoinette Iacub ou d'un gouvernement Hollande-Ayrault qui sont les petites mains des grands de ce monde.

    Je suis plus reserve sur le jugement de Melenchon. Oui, il a sans aucun doute du mal à bien saisir ce qu'est la vie quotidienne de tous ceux pour la fin du mois commence dès le 7 ou le 8. Et de ce fait certaines de ses preoccupations peuvent nous paraître... extraterrestres. Mais il a le merite, fort rare chez les politiques, d'ecouter vraiment. Et le merite encore plus rare de prendre en compte des avis fort eloignes de son horizon. Par exemple sa conversion à une ecologie radicale est un bouleversement qui fera date, et pour l'ecologie, et pour les idees socialistes. Cette conversion manifeste une certaine capacite à sortir des cadres ideologiques qui ont façonne le bonhomme. On peut à l'occasion faire siffler la cravache aux oreilles du bonhomme pour le faire avancer plus vite si on ne veut pas employer de pedagogie plus douce mais evitons de lui casser les reins à coups de trique : comme tous les bonsbourriquots, il preferera mourir sur place. ;o)

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