Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

vendredi 25 novembre 2011

Aziz


Dans les chantiers internationaux de jeunes bénévoles on retape une église ou on consolide les ruines d'un château, on débroussaille un futur sentier de randonnée ou on fait de l'archéologie expérimentale, on répare des murets anciens ou on redonne fraîcheur à une maison paysanne. En compagnie d'autres jeunes venus d'autres pays. Tu tapes "Union Rempart" dans ton moteur de recherche si tu veux en savoir plus.

À dix-huit ans Aziz vient participer à un chantier international dans un coin de campagne française. Ils sont un petit groupe de garçons et filles à venir de la même ville d'Algérie. Participant chez eux à une organisation qui anime un quartier pauvre, rénove des maisons de la colonisation française, gère un restaurant social, fait du soutien scolaire, organise des activités pour les gosses. Plusieurs sont musiciens et ils ont apporté leurs instruments. Les murs du vieux château ont résonné tout l'été de musiques méditerranéennes. 

Aziz revient plusieurs étés tailler la pierre ou maçonner le jour. Et chanter, jouer guitare, oud et percussions la nuit. À cette époque les organisations de jeunes, comme les festivals ou les théâtres, n'ont pas encore les incroyables difficultés actuelles pour inviter des étrangers à rencontrer des Français ou à jouer pour eux. 

Arrivent les années de cendre où les massacres deviennent la spécialité locale du moindre hameau d'Algérie. Un climat malsain pour les frères d'Aziz, plus âgés, qui vivent déjà en France. Aziz devient de plus en plus menacé lui aussi. Son statut de musicien ne fait qu'ajouter à sa condition suspecte d'intellectuel. Après un dernier séjour dans les pierres du château, Aziz ne reprend pas le bateau pour rentrer en Algérie.

Il a tout prévu. Logement. Boulot. Législation. Une agence de musiciens l'a mis dans son catalogue. Sûr que la préfecture n'a pas apprécié, mais alors pas du tout, d'apprendre qu'un Algérien n'avait regagné son pays sitôt le chantier de jeunes terminé. Et s'est calmée en apprenant qu'Aziz avait finalement quitté la France avec un peu de retard. L'agence de musiciens se débrouille en effet pour prévoir des concerts à l'étranger afin qu'Aziz ne séjourne jamais plus de trois mois consécutifs en France... Visa de tourisme, il est ainsi en règle ou presque.

Aziz fait son bonhomme de chemin. Il a du talent et une patte inimitable. Il devient un musicien reconnu pour sa production personnelle et pas seulement comme musicien accompagnateur. Sans dormir dans des palaces bling bling à trente sept mille euros, il acquiert tout de même une certaine notoriété, enregistre un disque, puis d'autres. Est invité par des salles de concert et des festivals prestigieux. Sous toutes les latitudes. Belle revanche qu'un "étranger" ex-clandestin soit accueilli officiellement pour jouer sa musique dans les pays les plus exotiques... Il devait aussi, voilà pas bien longtemps, faire une tournée en Algérie. Annulée. Peut-être encore trop délicat.

Aziz a obtenu assez vite un titre de séjour en bonne et due forme grâce à l'intervention d'un parlementaire amusé par le stratagème déployé et intéressé par le parcours, tant musical qu'intellectuel, du garçon. En guise de remerciement Aziz viendra jouer plusieurs fois, pour les seuls frais de déplacement, dans des bourgs ruraux proches du château où jeune bénévole... Il n'a pas oublié la région où Français et Algériens faisaient des chantiers en compagnie de Tchèques, Hongrois, Espagnols et une dizaine d'autres nationalités. 

Aziz vit aujourd'hui paisiblement dans une ville française avec sa petite famille. Il a obtenu la nationalité française. Il continue ses petits concerts acoustiques, ses grands concerts avec une tapée de musiciens, va bientôt enregistrer un énième nouveau disque. La France héberge un talent qui met du soleil dans ses nuits musicales et, me croiras-tu ? personne n'en souffre. 

4 commentaires:

  1. Aziz a échappé aux lois Pasqua et suivants qui ont transformé beaucoup d'immigré en sans-papiers... ;-))

    Bon à force de venir, je dépose mon 1er commentaire foireux !

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  2. Meuh non, faut pas te priver d'écrire ! Et tu as raison de le souligner, ce n'est pas un commentaire foireux, que c'est une longue suite de lois qui a transformé la vie des "travailleurs immigrés" en traque des bêtes "sans papiers".

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  3. Belle histoire qui ne règle malheureusement rien pour tous ceux qui n'ont pas la chance d'être né au bon endroit et n'ont pas de don négociable.

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  4. @ Anonyme.

    J'ai supprimé ton deuxième message puisqu'il était le même que le premier...

    L'aspect "talent" n'a joué qu'à la marge dans la légalisation d'Aziz. Par contre sa capacité à parler et à séduire le parlementaire a beaucoup compté. Et c'est vrai que tout le monde n'a pas ce talent-là non plus.

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Vas-y pour tes bisous partageux sur le museau !