Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

samedi 29 octobre 2011

Christiane

Christiane, elle rame, elle galère. Entre trois gamins qu'elle élève seule, des ersatz de boulot et des miettes de revenu. Elle trépigne encore de sa journée difficile. Une putain de rage à bouffer sans trop mâcher un nain tout cru. Talonnettes et gourdasse comprises. 

— Cet après-midi, j'ai cru que j'allais étrangler une conseillère pôle-Emploi. Elle sortait de chez le coiffeur, puait la cocotte, venait d'enrichir une esthéticienne et de dévaliser une boutique de fringues. Elle tordait du cul dans une jupe en cuir et des collants satinés. Cette salope doit avoir un maquereau qui gagne plus de pognon par jour que moi dans l'année.

— Bah, tu sais, les choix esthétiques de la madame, tu peux bien...

— Arrête un peu ! Je te cause pas de ça ! Cette salope se permet de me prendre de haut. Et je n'aime pas qu'on me fasse sentir que j'ai trois gosses à charge, que je suis au RSA et que je suis mal habillée selon des critères de pouffiasse. 

— Bon, tu te calmes un peu et tu me racontes ?

— Je me suis tapée aujourd'hui cent quatre-vingt bornes dans ma voiture pourrie — je croise les doigts de ne pas me faire arrêter par les bleus — dans l'espoir de faire la formation pour passer le permis D. Et de trouver la solution pour le financer, ce foutu permis ! Et c'est là que la pétasse, qui tord du cul, tord aussi de la gueule.

— Mais enfin voyons, me dit-elle la bouche en cul de poule, pour cette formation à temps plein, vous allez bénéficier d'une rémunération de 650 euros, ce qui n'est tout de même pas rien ! Et vous aurez un permis D à la clé avec la certitude d'un emploi à la suite. C'est normal qu'on ne nous aide pas plus. C'est à vous de choisir si vous décidez de vous investir personnellement. Renseignez-vous ailleurs !

— Le salaire de la suite, c'est pour conduire un bus scolaire. C'est payé 450 euros par mois. Tu vois un peu la tête du banquier si je veux emprunter sur cette magnifique perspective d'avenir !

— Mmmouais, évidemment, c'est un peu loin des préoccupations du FMI et de la banque mondiale...

— Bon, c'est pas une première pour moi, ça fait pas loin de vingt ans que je rencontre ce genre de personne à l'ANPE ou aux Assedics. Mais ça m'énerve toujours autant, d'entendre des trucs pareils, quand on sait tout le pognon qui se brasse, qui engraisse tant les gorets et fait crever les petits. En les culpabilisant en plus ! Et ça m'énerve toujours autant de voir ces conseillers-petits chefs qui bandent à servir les gros salopards. Je ne devrais pas mais, quand je parle de ça, je n'arrive pas à ne pas être grossière...

— Tes conseillers, faudrait les regrouper par une nuit froide dans le sas d'une banque pour qu'ils comprennent.

— Euh, je ne comprends pas.

— Quand tu n'as pas où dormir et que la rue, c'est tout nouveau pour toi, le sas d'une banque, avec son distributeur de billets, est l'un des premiers endroits auxquels tu songes. Et tu réalises alors que le confort de la banque est tout relatif... Je t'assure qu'ils apprendraient vite le respect des petits, tes conseillers.

11 commentaires:

  1. Cela fait beaucoup de bien de lire un article aussi vrai que le vôtre. Quel chômeur ne s'est jamais trouvé dans ce genre de situation face à ses pseudo-conseillers de l'anpe ?

    Il est devenu très rare de tomber sur un conseiller qui ne vous prenne pas de haut et qui connaissent son travail...

    Merci pour ce coup de gueule ;)

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  2. Merci pour ce compliment mais je n'ai guère de mérite : je n'ai fait que redire le coup de colère de la femme que je nomme ici Christiane et elle était très, mais alors très en colère !

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  3. "tes conseillers, faudrait les regrouper par une nuit froide dans le sas d'une banque pour qu'ils comprennent". Mais on dirait du Audiard!!

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  4. J'aime bien ton écriture! pourquoi tu ne regrouperais pas ces histoires pour en faire un livre?

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  5. Bien dit comme toujours. Partons du réel au lieu de commencer par l'inverse...

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  6. @ Des pas perdus

    Merci de dire en une si simple petite phrase l'objet de ce blog. Je n'y serais sans doute pas parvenu. Et merci pour le compliment.

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  7. heu...j'suis pas sure d'être déjà arrivé¤ aux bisous partageux sur le museau! Et réciproquement :))
    C'est exprès le "NOUS" ? Mais c'est bien vrai ça! il faut aussi LES aider, parce que pour annonner autant d'inepties grossières à cette charmante Christiane!si!si! fô leur reboucher les fuites dans leurs cerveaux

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  8. "Reboucher les fuites dans les cerveaux." La commentatrice a du talent ! Et c'est bien ce qui est sollicité en titillant les neurones avec ces "bisous partageux sur le museau"...

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  9. Bonsoir et merci pour ce billet qui me touche sur deux points :

    - Je suis à la retraite après 10 ans dans le privé et 20 ans d'ANPE , j'ai eu le malheur d'y rencontrer des collègues sans vocation sociale ni relationnelle comme celle que vous décrivez ,

    - Mon fils a été récemment dans le cas de "Christiane" , même motif : reconversion et même métier. Il a connu ces dialogues surréalistes d'une employée de Pôle Emploi (vous savez ce ratage total pondu par des comptables ^^) ; le recrutement laisse à désirer ...

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  10. Bon ben...moi qui accompagne des dizaines de personnes licenciées via mon métier...je ne peux que dire à quel point ce billet est criant de vérité...!!!

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  11. Je connais bien une personne qui travaille à l'ANPE et je suis actuellement chômeur, je discute trois fois par mois au minimum avec la personne qui me suit et je me renseigne sur ces soi-disant "privilégiés".

    Avant de cracher sur ces gens, renseignez vous à la fois sur le salaire, et sur leur condition de vie. Tout a changé depuis quelques années, et ça ne va qu'en empirant. Ils n'ont qu'une seule chose : c'est la promesse de ne pas perdre leur emploi, et encore nos bons amis qui ont le pouvoir sont en train de chercher un contournement pour pouvoir virer qui ils veulent même dans l'administration.

    Réveillez vous bordel : on est en 2011 en DEUX MILLE ONZE et **PAS en 1970 **. Aujourd'hui les conditions de travail des gens de l'ANPE sont simples : ils ont des objectifs à remplir. Les téléphones sont sur écoute. Plus de deux minutes avec une personne ? Pas d'augmentation à la fin de l'année. Tu n'est pas bien ami avec ton chef ? Pas d'augmentation à la fin de l'année. Les gens qui sont chômeurs et en CRP ne retrouvent pas de travail à la fin de leur CRP ? C'est TOI le responsable, pas d'augmentation à la fin de l'année. Tu dois gérer plus de 80 dossiers par an de chômage CRP. QUATRE VINGT DOSSIERS bordel. Faites le calcul : deux cent cinquante deux jours ouvrés par an : 252 / 80 = 3.15. Trois jours à consacrer par an pour une seule personne pour l'aider à faire son CV, ses démarches, le suivre, l'appeler pour savoir où il en est, ses entretiens etc. et vous avez le CULOT de dire que les gens qui travaillent à l'ANPE sont des branleurs pleins de fric ?

    Vous avez le CULOT de dire que les gens qui travaillent à l'ANPE sont des branleurs pleins de fric ? Piqure de rappel : réveillez vous bordel : on est en 2011 en DEUX MILLE ONZE et **PAS en 1970 **. Aujourd'hui les conditions de travail des gens de l'ANPE sont à la limite de l'acceptable. Arrêtez de leur taper dessus et réfléchissez aux politiciens qui sont biens contents que la population ne se tourne toujours pas vers eux, alors que ce sont EUX ET EUX SEULS les vrais responsables de tout ce qui arrive en France.

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Vas-y pour tes bisous partageux sur le museau !