Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

jeudi 17 novembre 2011

Hongrie 1989

1989. Je travaille en Hongrie. Le pays est alors en ébullition. Au printemps on réhabilite officiellement Imre Nagy. C'est le chef du gouvernement hongrois de 1956 qui s'était affranchi de la tutelle russe. Imre Nagy l'a payé de sa vie à la suite d'un procès sans surprise comme on savait alors si bien les conduire... On avait ensuite enterré son corps à la va-vite dans quelque lande déserte.

En 1989 plus d'un million de personnes assistent aux funérailles nationales qui accompagnent la réhabilitation d'Imre Nagy. Je regarde la cérémonie à la télévision. Une dignité et un silence respectueux avec un million de personnes à l'enterrement à Budapest. Un million de personnes alors que la Hongrie compte onze millions d'habitants ! C'est un jour chômé de deuil national. Chômé. Même les feux tricolores ne fonctionnent pas dans ma ville ! À midi tout s'arrête pour quelques minutes de silence. La radio annonce qu'elle cesse ses émissions. Nous sommes sur l'autoroute. Mon accompagnateur hongrois arrête sa voiture, là, au beau milieu de l'autoroute. Comme tous les automobilistes. Nous repartons quand la radio recommence à émettre. Comme tous les automobilistes.

En revenant en France pour une fête de famille j'ai l'énorme surprise de constater que personne ou presque n'a connaissance des événements hongrois. Je passe pour un plaisantin quand je tente d'expliquer qu'un bouleversement historique se prépare à l'Est. Dire que la frontière hongroise avec l'Autriche va être ouverte fait hurler de rire. 

Pourtant, en fin d'été, la veille de cette ouverture une file ininterrompue de quarante kilomètres de Trabant, Dacia et Lada est-allemandes stationnent sur l'autoroute Budapest-Vienne. Leurs propriétaires veulent être parmi les premiers à rejoindre l'Allemagne de l'Ouest. La blague des Hongrois est de demander si le dernier a bien éteint la lumière en Allemagne de l'Est avant de partir. Je verrai encore pendant des semaines des voitures est-allemandes traverser la Hongrie.

Tu connais la suite avec la chute du mur de Berlin, la fin du Conducator roumain et autres menus détails. Parce que là, la presse s'est enfin décidée à en parler... Un autre empire, avec une autre idéologie tout aussi totalitaire et tout aussi affranchie de la réalité, va bientôt s'effondrer. On n'en est pas encore au constat de décès mais ça sent déjà le sapin. Ah ça, en le disant, nous passons pour des plaisantins... et ça fait hurler de rire.

Des incroyants ont écrit une lettre à quelques membres du politburo libéral pour lui demander : Ce fameux « bonheur néo-libéral » qu'on nous promet depuis trente ans, ça vient quand ?

On lira leur missive complète par exemple chez une intermittente du boulot ou chez un auteur de samizdat. Ils ont mon amitié.

5 commentaires:

  1. Merci à toi pour ce récit et le passage de relai

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  2. Retisser des liens de solidarité entre nous. Sans s'arrêter à de basses considérations sur la couleur du papier ou la place de virgule. Recréer entre nous tous, exploités, le sentiment de notre appartenance commune à une même classe. Chacun apporte au moulin le blé de son champ pour faire de la farine. Sans se soucier du reste.

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  3. Cher partageux...je ne sais pas où t'écrire, alors j'utilise le fil de commentaire de ce billet. Ton commentaire de ce matin m'a inspiré. Rdv donc sur http://agauchepourdevrai.fr/post/13109689094/krach-de-laction-hollande-sur-les-marches-politiques
    A + partageux.

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  4. Cher, j'ai la gorge serrée du texte "Aziz, je suis émue du récit de la violence au travail, et vous m'achevez en témoignant de ce jour si particulier où j'ai eu la chance, rare touriste, de me trouver sur la Place des Héros en compagnie de ce million de personnes, "mitraillant" avec mon vieil appareil photo les visages tendus de ce peuple qui ne réalisait pas tout à fait qu'un autre avenir se mettait doucement en place. De retour à Paris, je savais que je détenais un trésor d'images, mais personne ne s'y intéressait plus. Une autre actu était passée, plus les agences officielles. Et puis le mur est tombé. Depuis ce jour de 1989 de Réconciliation nationale, j'ai formé le voeux de devenir photographe de presse. C'est fait depuis plusieurs années maintenant. Et ce jour particulier continue de m'inspirer. Merci à vous de votre récit.
    Isabelle Gabrieli

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  5. Isabelle, ce jour était en effet tout à fait extraordinaire. Mais, à l'Ouest, personne ou presque ne s'y est jamais intéressé. C'est cette cécité incroyable que j'ai mise en miroir de la cécité actuelle où, selon nos idéologues libéraux, nos pays opulents ne pourraient pas donner une retraite convenable aux vieux, un salaire décent aux travailleurs, une éducation solide aux enfants...

    S'il ne savait pas encore de quoi il serait fait, le peuple hongrois réalisait tout de même qu'un autre avenir se dessinait. Les discours des orateurs ne laissaient guère de doute à ce sujet... Le sol grondait sous les pieds et nul ne pouvait penser que pas un édifice ne souffrirait de la moindre lézarde...

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Vas-y pour tes bisous partageux sur le museau !