« Lorsque le pouvoir de transfiguration de la mort, ce rituel social qui commande l’éloge des disparus, se joint à la puissance d’une émotion commune à l’échelle de la société tout entière, il est à craindre que ce soit la clarté des idées qui passe un mauvais moment. » Et Frédéric Lordon appuie là où ça va faire mal. Très mal.
Une bafouille précédente, intitulée « Je suis Rémi », a provoqué des réactions épidermiques. Il faut pourtant se pencher sur cette émotion collective. Contrairement à ce prétend une Nathalie Saint Cricq disjonctée, l’opposition n’est pas là : j’ai choisi de ne pas participer à la marche, des copains y sont allés, et on ne se fâchera pas.
Souvent des personnes sont tuées par la police ou meurent dans des circonstances inacceptables. Rémi Fraisse. Zied et Bouna et les autres basanés. Toutes ces morts au travail. Les suicides à France Télécom et ailleurs. Ces milliers de morts de la rue et de la misère. Un maire qui refuse la sépulture de Maria Francesca parce que bébé de Rroms. Autant de retours à la barbarie. La compassion collective, l’émotion collective, ne vont pas à tous les morts de façon égale. C'est cette différence qui doit nous interroger.
Hervé Kempf, journaliste spécialisé dans l'écologie, remet sur le tapis la question sociale et la guerre de classes.
Et quand j’entends l’unanimité de ces politiciens qui parlent de guerre — Manuel Valls : « La France est en guerre contre le terrorisme, le djihadisme et l’islamisme radical » — je rappelle qu’il y a une autre guerre, décrite sans fard par le milliardaire Warren Buffet : « Tout va très bien pour les riches dans ce pays, nous n’avons jamais été aussi prospères. C’est une guerre de classes, et c’est ma classe qui est en train de gagner. » Vraiment, n’y a-t-il rien à voir, pas un fil d’explication, entre le crime de MM. Kouachi et les politiques prônées par MM. Bolloré, Arnault, Pinault, Dassault, Mulliez... ? Rien à voir entre la poussée de « l’islamisme radical » et le fait que 85 personnes possèdent autant que trois milliards d’autres humains ? Rien à voir entre la poursuite obstinée des politiques néo-libérales et la déshérence de l’école, des systèmes de santé, des quartiers ?
Reporterre, site traitant d’écologie, va regarder où et comment ils ont grandi.
Quelle était l’enfance de Chérif et Saïd Kouachi, les deux hommes qui ont assassiné les journalistes et les policiers à Charlie Hebdo ? Une enfance misérable, de père absent et de mère prostituée, dans un immeuble populaire du 19e arrondissement de Paris. Evelyne les a connus, elle témoigne. […] « Je ne devrais pas le dire, vous allez me prendre pour une folle, mais quelque part, moi ces gamins-là, je les plains… »
Mediapart rencontre Cédric, ex-adolescent placé avec les frères Kouachi dans un centre éducatif de Corrèze. À ce sujet tu liras aussi ma bafouille sur la drôle de façon de fêter les dix-huit ans inventée par les déconseillés généraux en Haute-Vienne. Et ailleurs, hélas !
Lui qui les a côtoyés au quotidien, veut se souvenir d'un autre fragment de vie englouti : celui où les deux frères, eux aussi orphelins, étaient des adolescents pleins de vie. […] « On était tous mélangés : des orphelins, des types vraiment dangereux qui avaient commis des choses très, très dures, des requérants d’asile complètement perdus. » Comme cet adolescent du Sierra Leone qui partage sa chambre et se réveille chaque nuit en hurlant et en appelant ses parents.
On regrette que des questions essentielles soient si soit souvent occultées par un vain débat sur les religions. Un débat mal posé selon Shlomo Sand.
[…] Il existe une différence fondamentale entre le fait de s’en prendre à une religion ou à une croyance dominante dans une société, et celui d’attenter ou d’inciter contre la religion d’une minorité dominée. […] C’est aussi faire preuve d’aveuglement que de ne pas comprendre que cette situation conflictuelle ira en s’aggravant si l’on ne s’emploie pas ensemble, athées et croyants, à œuvrer à de véritables perspectives du vivre ensemble sans la haine de l’autre.
Quelle liberté de la presse ? Basta ! pose beaucoup de questions.
Beaucoup de médias proclament qu’ils n’arrêteront pas le combat. Mais quel combat ? Celui pour la liberté de la presse ? Le combat pour faire vivre des médias indépendants des pouvoirs économiques et politiques ? […] Alors que défilent des millions de personnes pour défendre la liberté de la presse, les médias sauront-ils se saisir de cet attachement renouvelé pour s’interroger, loin de la course au scoop, de la priorité à l’émotion et au spectaculaire, des commentaires stériles sur l’actualité ? Sauront-ils demain être à la hauteur de l’attente aujourd’hui suscitée ? A quoi sert la liberté de la presse si elle est mal utilisée ?
Delfeil de Ton, l’un des derniers survivants du Charlie des origines, cite Wolinski, en 2011, après l’incendie des locaux de Charlie Hebdo.
« Je crois que nous sommes des inconscients et des imbéciles qui avons pris un risque inutile. C'est tout. On se croit invulnérables. Pendant des années, des dizaines d'années même, on fait de la provocation et puis un jour, la provocation se retourne contre nous. Il fallait pas le faire », avait déclaré le dessinateur. Et Delfeil de Ton, s'appuyant sur cette citation, embraye : « Il fallait pas le faire, mais Charb l'a refait. »
Dessin de Romain Dutreix. Chronique tsigane, une chanson de Luc Romann.
Je comprends Delfeuil. Mais Wolinski a répondu en restant. Le problème, c'est que la provocation, ce sera quoi, la prochaine fois ? Juste dire qu'on est pour la liberté de culte, l'égalité sociale ?
RépondreSupprimerPrends le temps de lire Shlomo Sands.
SupprimerFaudrait aussi lire "La haine de la religion" de Pierre Tevanian que je ne me suis jamais donné la peine de chroniquer alors que c'est un livre majeur pour comprendre que la guéguerre anti-religieuse permet depuis belle lune de passer à la trappe la lutte des classes à la grande joie de l'oligarchie. Et ce sont deux athées, Tevanian et Partageux, qui l'affirment. ;o) Un autre athée, Jean-Claude Michéa, a montré comment, au XIXe, la lutte contre la religion catholique a longtemps permis de mettre la lutte des classes sous le tapis.
Et je serai au premier rang des opposants quand une calotte prétendra imposer ses vues.
Guillemin le dit. Traven affirme que la religion entrave... Contradiction apparente mais sur le fond, ils ont raison tous les deux.
SupprimerJe souscris à l'esprit, et je suis en panne d'un long commentaire. Une rareté pour Lou (dont on commente peu et brièvement les longs articles, peut-être parce qu'il n'y a rien à dire).
RépondreSupprimerje confirme, tout est écrit et illustré!
Supprimerétant d ' un naturel paresseux et maniant le clavier à la vitesse d ' un escargot à la sieste , je me contente de vous donner le commentaire que je faisais au dernier excellent post de Caleb Iri , et qui peut faire l ' affaire pour ton non-moins excellent article :
RépondreSupprimerhttp://calebirri.unblog.fr/2015/01/16/les-terroristes-gagnent-du-terrain-causes-et-consequences/#comments
Le billet est intéressant et le commentaire itou. Et ça change agréablement de certains textes à l'emporte-pièce que nous avons du subir ces derniers temps. ;o)
Supprimermerci pour ces extraits d'articles.
RépondreSupprimeron va pouvoir retrouver des videos interessantes bientot
http://delairafranceinter.ouvaton.org/la-dissidence-pas-le-silence/
et vivement le retour de Mermet et son équipe le 21 janvier ! sur le net à défaut de service public qui est soi disant pour la liberté d'expression
Tiens ! Utile rappel. Faudrait que je consacre un peu de temps à la chose.
Supprimerbonjour
Supprimeroui surtout qu'il y aura le sujet 'je suis charlie' et 'je ne suis pas charlie' ;o)