C'est le citoyen de la République Française qui s'adresse à vous aujourd'hui pour évoquer des faits dont j'ai été témoin et que je ne peux, au regard de la morale et de la Loi, passer sous silence.
Je suis un citoyen lambda, un simple habitant d'une ville rurale de taille moyenne, la bonne ville d'Uzès dans le Gard. J'y vis, j'y promène mon chien, comme tous les propriétaires de chiens, et ces promenades me mènent régulièrement vers le parc du Duché, qui somme toute est une agréable place ou il fait bon fumer une cigarette pendant que le chien s’amuse.
Depuis six mois j'y croisais un nouveau venu, James, quarante-sept ans bien qu'il en faisait bien plus, écossais, clochard, SDF malheureux en rupture sociale totale et dans un état de santé préoccupant. Je lui offrais souvent une clope ou un café, et nous fumions ensemble en essayant de se comprendre. La différence de langue y faisant largement obstacle…
Quoiqu'il en soit, il avait probablement choisi Uzès comme terre d'accueil et de refuge, le soleil du Sud y contribuant, c'est vrai qu'il brille pour tout le monde, lui. En tous cas, les clients de la supérette du centre ville peuvent témoigner qu'il était entré dans le paysage social local, on le voyait quotidiennement y faire la manche.
Mais revenons en aux faits : le 06 septembre 2014, alors que les services de la Préfecture du Gard avaient par arrêté préfectoral mis le département en alerte orange en rapport à des conditions climatiques particulièrement dangereuses, je sortais tout de même mon chien vers 9 heures, car il le réclamait expressément, moi-même étant particulièrement bien équipé…
Alors que la pluie était battante, je constate que James était toujours dans son « campement » qu'il occupait depuis une semaine, au bord du mur d'enceinte du fond du parc, non bâché, allongé dans un duvet à même le sol trempé, ses quelques sacs ruisselants…
Ma conscience m'oblige à intervenir, je vais le voir, essaie de lui dire de bouger, de se mettre à l'abri, sans succès. Il me demande de lui rouler une clope, tellement ses mains tremblaient, en me tendant son tabac trempé... Je ne sais pas pourquoi il ne voulait pas bouger : ses affaires qu'il ne voulait pas laisser ? Son état de santé qui l’empêchait de se lever ? Quoiqu'il en soit mon acharnement fut sans effet... Au bout de quelques heures infructueuses, vers 10 h 30, dépité, je décide d'aller demander de l'aide aux services sociaux, dans l'impossibilité à me résoudre à laisser la situation ainsi, sans tenter d'en faire plus, j'imaginais le pire, je pars donc en lui laissant mon parapluie…
Consterné, je file au plus simple, je pars donc au local de la Croix Rouge, je tombe en pleine distribution alimentaire, quatre ou cinq responsables m'accueillent. Je leur demande de l'aide, je leur signale qu'un SDF a besoin d'aide, et au vu de la situation j'invoque même l'urgence lié à une assistance de personne en danger, en cette période d'alerte et de danger immédiat. Je leur intime au moins de lui fournir une tente, de faire quelque chose, la pluie dehors continuait de tomber à torrent...
L'équipe de la Croix Rouge, visiblement dépassée, me regarde l'air ébahi et me propose des pommes et du pain. Au bout d'une d'une demi-heure de parlementaire, celui qui semblait être le chef, tout en ré-insistant pour les pommes et le pain, m'invite à me rendre par moi même à la police municipale qui « pourront répondre à ma demande », car «il pourront vous trouver une tente, il doivent avoir ça ! ». Je ne sais pas si j'ai failli rire ou pleurer, mais je suis tout de même parti vers cette nouvelle piste…
Je suis donc aller voir la Police Municipale, sous la pluie battante, pensant à ce pauvre James et effaré par ma première visite aux services sociaux de la Croix Rouge... Deuxième acte, j'arrive au local de la Police Municipale, il est fermé... Un agent est tout de même en faction sous le porche mitoyen de la mairie, je lui signale James, lui raconte l'histoire, invoque la même urgence, les mêmes obligations légales d'assistance. J'ai conscience que mon devoir d'assistance à personne en danger me l'impose. Signaler une situation d'assistance urgente quand on a tout fait pour y remédier est une obligation légale et je m'y emploie avec un acharnement citoyen, autant que par compassion, un homme est probablement en danger. Je dit à l'agent qu'il faut au moins vérifier, lui apporter une bâche, une tente…
Je demande simplement de l'aide pour un SDF en danger... Je lui dis que je viens de la part de la Croix Rouge, il me répond qu'il n'a pas de tente pour moi... Même fin de non-recevoir... Finalement, il m'invite à aller à la mairie... Et là…
Quatre secrétaires écoutent mon histoire, que je répète inlassablement, de plus en plus troublé par les réponses qu'on m'y oppose, à savoir le laisser-faire, à peine une légère expression de compassion légitime. On m'envoie au secrétariat du Maire... La secrétaire appelle le premier bureau d'accueil en les interrogeant sur la recherche éventuelle d'une tente. Réponse négative. Je commençais à ne plus comprendre ou j'étais, ni que faire pour que quelqu'un prenne le problème à sa juste mesure.
Finalement elle tente de me rassurer et me demande de me calmer, il vont « envoyer une patrouille ». C'était là la seule réponse que j'obtiendrai à ma demande. L'affaire est à présent entre leurs mains.
C'est sûr, j'aurais préféré que des agents municipaux interviennent rapidement, en rapport du degré d'urgence, mais bon, au regard de la difficulté, je me résigne à la solution policière…
Largement écoeuré par l'indifférence, ou par la lenteur de réaction des agents de la collectivité publique, je me résigne tout de même à accepter la réponse et rentre enfin chez moi après quatre heure de palabres et trois bureaux, sachant que je dois aussi faire à manger pour ma mère handicapée et qu'il était midi passé. J'espérais juste avoir fait ce qu'il fallait faire. Un simple devoir de citoyen, solidarité et fraternité… La tempête bat son plein toute la journée et toute la nuit, un vent à décorner les bœufs…
Persuadé que mon appel à été pris au sérieux, je ne vais pas vérifier si mon intervention a produit son effet... J'aurais dû.
Le lendemain matin, mercredi, jour des enfants, même rituel, même parc, 9 h 30... Au fond du parc, les gendarmes. Avec angoisse j'interpelle un agent qui me dit de ne pas m'approcher, un individu est mort. Dégoûté, je demande à voir le chef et je lui explique mon histoire de la veille, scandalisé par la non intervention des équipes municipales. Il m'écoute avec attention, prend mes coordonnées et dit qu'il me rappellera pour prendre mon témoignage à la gendarmerie…
Vers onze heures, je veux en savoir plus, je décide de repartir au parc. En approchant du bord du mur, nouveau sentiment d'angoisse… Je n'oublierais jamais ce que j'ai ressenti quand j'ai passé la tête au bord du parapet surplombant le mur…
Non, je n'oublierai pas le triste ballet des gendarmes, autour du corps de James, totalement dénudé, son sexe traîné dans la boue... Ses affaires éparses... Le parapluie, protection dérisoire, écrasé et déchiqueté à ses cotés… Les premières constatations se faisaient à ciel ouvert, à même le sol et sans protection pour le regard des passants. J'ai alors crié aux militaires que tout le monde pouvait voir de l'endroit ou j'étais. Le parc est particulièrement passant... Ils m'ont demandé de rester là pour en empêcher l'accès... J'ai accompli avec amertume mon triste travail de cerbère volontaire…
Les gendarmes sont partis après leur besogne, sans un mot pour moi. Depuis j'attends leur appel…
J'ai lu le lendemain dans le midi libre qu'un SDF était retrouvé décédé, « de mort naturelle », mon sang n'a fait qu'un tour. Une alerte orange « naturelle » ? Une non assistance « naturelle » ? C'est se moquer des gens ou quoi ?
Pourtant la législation est claire : l'obligation est faite à toute personne, d'intervenir afin de porter secours à toute personne en danger et il s'y ajoute d'une obligation d'intervention dans le cadre d'un péril de type « catastrophe naturelle ». Ainsi, dans le Code pénal, l'article 223-6 al 2 dispose qu' « est puni celui qui ayant connaissance d'un péril encouru par un tiers ne lui apporte pas l'assistance appropriée ». Et cette obligation a valeur constitutionnelle lorsque qu'elle concerne l'Etat et ses services décentralisés.
Ainsi, ne pas ouvrir une instruction serait nier les principes du Droit. D'où mes interrogations : si j'avais officiellement témoigné sur demande de la gendarmerie, le parquet n’aurait-il pas dû ouvrir une enquête ? N'aurait il pas dû tenter de déterminer des responsables ou mettre l'accent sur un défaut dans la chaîne de responsabilité institutionnelle ? En l'espèce, un homme meurt parce qu'il n'a pas été secouru et la justice n'est pas interpellée ?
Pourquoi n'ai-je pas été encore entendu ? Je me refuse à voir la mémoire de James, Être Humain, citoyen européen, mort en France, souillée par une indifférence coupable.
Les SDF sont ils a ce point dépouillés de tout, qu'ils sont aussi hors du champ du Droit ? Et au regard de la réaction des services public lors de mon intervention, et en prenant compte l'approche de l'hiver, n'est-on pas en droit de se poser des question sur le vrai visage de la solidarité nationale ?
Quoiqu'il en soit, je n'arrive pas à me résigner à laisser cette histoire sans écho... Je pense toujours que les faits méritent une instruction plus complète et appelle à une réaction plus importante des autorités concernées, y compris au niveau préfectoral... C'est pourquoi je vous adresse cette présente, en restant à votre disposition pour éclairer des points qui sembleraient obscurs.
Dans l'espoir que vous prendrez en compte mon témoignage et que vous ferez bon usage, je vous prie de recevoir mes salutations.
Dans l'attente de votre réponse...
Dumond Cyrille
Uzès, le 08 novembre 2014
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Une lettre, reçue par courrier électronique, adressée aux officiels du Gard, à des associations et à la presse. « Objet : témoignage concernant une non-assistance d'une personne en péril ayant entraîné la mort par négligence. »
Si tu fais face à un tel cas. Agir de ton mieux mais rapidement sans attendre une aide extérieure hypothétique comme lorsque tu sors de l’eau un gosse qui se noie sans attendre les pompiers. Le premier ennemi du sans logis et du mal-logé, bien avant le froid, est l’humidité. Mettre au sec est le premier impératif. On ne peut pas se réchauffer avec des vêtements, duvet ou couvertures humides. D’où hypothermie fatale même avec un thermomètre bien au dessus de zéro.
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Photo : dispositifs urbains anti-SDF. Ça fait grincer des dents, une chanson de Bernard Haillant interprétée par Jean-Marc Le Bihan.
Tiens, je vais faire un lien de cette histoire pour illustrer un commentaire que je viens de faire ailleurs où je disais que nous étions toujours au bord de la barbarie.
RépondreSupprimerTon mot barbarie et ton analyse me semblent particulièrement adaptés.
SupprimerComme lorsque des militaires bien équipés et bien protégés tirent des grenades sur des manifestants dont les plus excités jettent des mottes de terre...
Terrible récit.
RépondreSupprimerEn 1967, un soir, en rentrant d'un théâtre, j'ai ramassé un basané (algérien) qui débordait du trottoir sur la chaussée. Il était ivre presque mort.
RépondreSupprimerJe l'ai allongé sur le côté.
_ C'est pas beau, la France, m'a-t-il dit.
Je l'aurais bien emmené chez moi, il n'était pas vraiment moribond, il aurait pu se reposer.
Un autre automobiliste est arrivé, il est allé appeler Police Secours à la cabine. Peut-être que ce jour-là, ils ont été plus de secours que de police. Je ne pouvais rien faire de plus.
Le dernier billet (ce matin) a disparu ?
RépondreSupprimerMerci de ce partage ... tristesse et colère ...
RépondreSupprimerJ'ai partagé ici :
http://sarkostique.fr/index.php?topic=1446.msg46563#msg46563