La gauche fonce dans le mur en chantant des cantiques 5/
La CAF supprime RSA et allocs diverses à Aline pour lui apprendre à être individualiste. On continue le chapitre précédent.
Les associations [d'allocataires, précaires, etc.] ne parviennent plus à faire face dans le silence absolu de tous les politiques. J'aimerais bien comprendre la démarche des Conseils généraux étant donné que certains précaires ont eu des années de RSA et allocation logement à rembourser. Insolvables, certains se suicident ou font des pétages de plomb dans les administrations. Que faire ? (Aline)
Les Conseils généraux ont un impératif : équilibrer leurs comptes. Qui leur fait oublier la réalité de crève-la-faim pour qui les 400 roros mensuels du RSA constituent la bouée de survie. La droite et les media serinent qu'il convient de remettre au boulot par la contrainte les « assistés » parasites. Et qu'il faut faire la chasse aux Zabus.
Monsieur le Conseiller général reçoit dans sa permanence. Il le reconnaît. La situation de monsieur A est préoccupante, celle de madame B alarmante. La situation de la famille C est catastrophique, celle de la famille D désastreuse et celle de la famille E calamiteuse. Monsieur le Conseiller général constate que chaque personne qu'il reçoit est bien dans la détresse. Mais, en réunion de commission, Monsieur le Conseil général entend qu'il y a six mille « dossiers ». Ou dix-huit mille. Ou quarante-douze mille. Désemparé devant des chiffres de contrée africaine ravagée par trente ans de guerre, d'incurie du FMI et de sécheresse de la Banque mondiale, monsieur le Conseiller général pense aux Zabus. Même s'il n'a jamais vu plus de Zabus dans sa permanence que de dahuts dans les camps de son adolescence.
La fille de monsieur le Conseiller général a peiné à dégoter un boulot correct. Des années chez papa maman entre emploi jeune, temps partiel, chômage intermittent et échec au concours à mille deux cents candidats pour sept postes. Monsieur le Conseiller général a réussi à « faire entrer » fifille ici ou là. Monsieur le Conseiller général oublie que fifille n'a obtenu son poste que grâce à ses relations. Alors la meute de gens — attends ! 50 % de chômeurs chez les moins de 25 ans de la ZUS, zone urbaine sensible, de Mocheville, c'est bien qu'il y a une épidémie de poil dans la main, non ? — la marée de gens, l'océan de gens en galère donne le vertige. Fuyons la réalité...
Que faire ? D'abord ! s'occuper d'Aline. Ça s'appelle la solidarité. Que les camarades de son coin bougent. Vingt vont se rendre à la CAF pour demander des explications au directeur. Accompagnés d'un précaire chevronné qui maîtrise le droit des pauvres bien mieux que la CAF et qui va leur éviter de se faire promener. D'autres vont téléphoner, se fendre d'une lettre ou d'un courriel. C'est dans le silence que l'on suicide les Aline. Dès qu'il y a trop de bruit, trop de lumière, trop de photos, trop de questions, trop de solidarité, il y a rétropédalage. Aline doit récupérer tous ses droits. Et vite. Avec rétroactivité des sommes non perçues. Faut aussi lui assurer le présent. Des camarades vont lui dire qu'elle n'est pas la dernière des connes qui n'a que mérité son sort. D'aucuns vont l'inviter à manger chez eux, l'emmener au cinéma ou lui prêter un chouette bouquin. D'autres vont faire les courses avec elle et sortir leur carte bancaire. Il y a un mot désuet écrit au fronton des mairies. Ça serait pas mal de le remettre au goût du jour. Ça serait pas mal de la mettre en pratique. La fraternité.
Parlons des millions d'Aline ! La gauche prend des dégelées électorales parce qu'elle ne parle pas — ou si peu, ou si mal ! — du chômage, de la précarité, de la misère, du RSA, des allocs, du Smic dérisoire, du travail à temps partiel, des contrats précaires et du minimum vieillesse qui font crever de faim, de honte, de dépression et de suicide. Adressons-nous aux six millions de chômeurs, aux dix millions de gens qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, aux millions de temps partiels, aux millions de smicards, aux 53% d'ouvriers et d'employés, à tous ceux qui ne vivent que de leur salaire, à tous ceux qui vivent trouille au ventre de tomber encore plus bas. Combien vivent dans la colère, l'inquiétude ou la détresse ? C'est d'abord à eux qu'il faut parler. L'idée libertaire / socialiste / communiste est née pour les damnés de la terre. Pas pour protéger les petites mains du capitalisme ou pour gaver les plus gras en causant comme Mosco le Guizot.
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Au XIXe siècle, vers 1840 environ, le ministre François Guizot dit aux possédants : « enrichissez-vous ! »
Photo Des pas perdus. Sept soldats, Gilles Elbaz, avec la participation de Christian Vander, Janik Top et toute la bande de Magma 1970.
Voilà qui est bien dit, mais cela sera-t-il entendu ?
RépondreSupprimerJe ne sais si cela sera entendu. Mais je suis certain que se taire est l'assurance formelle de ne pas être entendu. ;o) Dire et redire permet de faire parfois avancer le bidule.
RépondreSupprimerEt ne sous-estimons pas notre force. Nous avons un allié de poids qui est le corps électoral. Depuis 1983 l'électeur se désintéresse toujours plus des cantiques de la gauche. Encore quelques bonnes branlées bien douloureuses et l'on verra peut-être de beaux messieurs perdre un peu de leurs certitudes et se mettre enfin à écouter les voix d'en bas.
Rien n'est certain : en 2002 je n'ai pas voté. Ni pour les présidentielles, ni pour les législatives. Je n'étais pas seul : Jospin a pris son ticket de sortie dès le premier tour et ça n'a toujours pas servi de leçon au socialistes...
Hâtez-vous lentement, et sans perdre courage,
RépondreSupprimerVingt fois sur le métier remettez votre ouvrage,
Polissez-le sans cesse, et le repolissez,
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
Ce que Boileau dit de la littérature, il nous faut l'appliquer aux explications politiques, sans se lasser ni désespérer. Même le meilleur argument peine souvent à venir à bout de préjugés, de préventions et d'une propagande tenace et omniprésente. Mais surtout il faut se mettre à la portée de ceux qui sont trop désespérés pour réfléchir, trop fatigués pour penser, trop abattus pour seulement écouter.
je voudrais revenir sur ton billet 4.
RépondreSupprimerje pense que les agents de la caf c'est un peu comme les agents du pole emploi. certains doivent bien subir des pressions de leur hiérarchie, combien tombent dans la dépression ou se suicident? le cœur du problème reste et demeure le patronat qui s'engraisse sur le dos des plus pauvres et le fait que la gauche souvent ne prend même pas soin de dénoncer ces vols en public.Quand tu parles d'adrexxo par exemple je te suis a 100% d'accord mais je ne crois pas que c'est en traitant ces employés de collabos qui ne sont que des rouages du régime actuel qu"on va au fond de ce qu'est vraiment ce système. L'etat en soit n'a jamais été que l'instrument des classes dominantes tout au long de son histoire, et les fois ou il a fait des choses pour le peuple c'est que l'avenir de la classe dominante nécessitait d'entretenir un peu moins mal ceux qui participaient a son enrichissement.
Tu as raison, on est face à une question un peu délicate. Il faudrait toujours distinguer le rouage et la personne. Dépassionner ce débat n'est pas toujours aisé. Je me souviens par exemple des coups de sang de certains camarades quand Mélenchon a affiché son soutien à Jérôme Kerviel, ex-trader à la Société générale.
SupprimerMais on ne peut pas complètement isoler la fonction de la personne. Même pour Kerviel, qui n'a pas nuit directement à une seule personne, certains camarades n'acceptaient pas la position de Mélenchon... Les contrôleurs de la CAF ou de Pôle-Emploi nuisent directement à des personnes très fragiles et les mettent dans des situations désespérées. Je connais bien une personne chargée de contrôles à Pôle-Emploi et elle m'avoue "toujours se débrouiller" pour ne jamais pénaliser un chômeur. En me disant qu'elle dispose de "toute une batterie d'expédients" pour faire son boulot selon sa conscience... tout en montrant patte blanche à sa direction !
Délices de la décentralisation. En confiant l'aide sociale aux collectivités locales, les "problèmes " sont éparpillés... Difficile alors de lutter, d'autant que des élus de "gauche" doivent "gérer" la pénurie organisée au niveau de l'Etat, et que parmi beaucoup se vivent en chefs d'entreprise qui essaient d'attirer les entreprises, de rendre attractif leur territoire... Bien évidemment, il faut que la gauche, la nôtre, cesse aussi de s'éparpiller dans des querelles pour revenir à l'essentiel en défendant les plus faibles, les classes populaires...
RépondreSupprimerLa décentralisation est ici un processus bien vicieux : on te donne les clés du camion, oui, et un ticket de rationnement d'essence… À toi de prendre les engueulades !
SupprimerPour défendre les plus faibles, à nous d'inventer des solutions alternatives au camion assoiffé. Inventer une politique du vélo… ;o)
Peu de commentaires pour un article qui mériterait la une de la presse "officielle" de gauche. Cela dit, je ne me souviens pas que les gens de gauche aient, par le passé, pris concrètement fait et cause pour les plus mal barrés. Leur clientèle a toujours été la même : les prolos et les fonctionnaires. Les phénomènes d'exclusion datent en gros du début des années 80, cela correspond avec les premières explosions de violence dans les cités. Moi qui vivais dans une cité où, à la fin des années 70, le chômage et la drogue faisaient des ravages entre rixes ethniques opposant jeunes Beurs et Gitans, et où ensuite le Sida a commencé à sévir, je ne me rappelle pas avoir vu beaucoup de militants ni de gauche ni d'ailleurs venir proposer des solutions. La question de l'emploi des jeunes se posait déjà, nombre d'entre nous sortaient du système scolaire à seize ans avec pour seule perspective ce que les fonctionnaires conseillers d'orientation et ceux de la toute jeune ANPE appelaient "la vie active", avec son cortège de contrats d'apprentissage sous-payés et de formations et pré-formations bidons, qui ouvraient la voie à une carrière de stages et plus tard, à une collection de CES. La gauche, on ne l'entendait pas beaucoup quand il était question, déjà, de la détresse des jeunes, elle ne s'exprimait guère, plus avant, à propos de la survie des bidonvilles, et elle n'a guère émis de réserves quant à la construction massive de cités HLM à la périphérie des villes, qui n'étaient rien moins que des ghettos de pauvres.
RépondreSupprimerJe suis d'une généation qui a vu la gauche à l'oeuvre, entre les crise d'ego d'un Georges Marchais et les trahisons d'un Mitterrand, les vieux conflits entre théoriciens staliniens, trotskystes et marxistes-léninistes dont beaucoup n'avaient jamais approché une usine, les bavardages d'une extrême-gauche d'intellos parisiens issus de la bourgeoisie, la transition vers le jaune des syndicats naguère ouvriers, les bavassages creux des soixante-huitards tandis qu'explosaient les loyers et que les contrats précaires devenaient la règle - nous sommes là au milieu des années 80. Je ne veux pas vous casser le moral, mais si la gauche avait dû défendre les intérêts des plus mal barrés, il y a longtemps qu'elle aurait dû, comme disent ses militants, "mouiller la chemise".
Je crois que la gauche, de la base à ses élites, a toujours été désemparée par ce qui ne ressortit pas de son fonds de commerce historique, qui est "les travailleurs". Quand sont intervenus des phénomènes d'exclusion sociale procédant du libéralisme naissant, quand les banlieues ont commencé à s'enflammer, les socialo-communistes ont laissé faire. Or, ils tenaient le pouvoir à ces moments-là. C'est d'autant plus impardonnable aux yeux de ceux qui n'ont pas oublié.