Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

mercredi 16 janvier 2013

Marcel Reggaeman


Marcel occupe un trône impérial dans la catégorie des fêlés, cintrés, pliés, cinglés, secoués, frappés, siphonnés.
Marcel porte des cheveux et une barbe que le plus fondamentaliste des rastas ne renierait pas. Le poil feutré à la perfection. D'où le surnom de Reggaeman. Comment décrire des vêtements informes d'une couleur délavée marron sale qui ne craignent plus la tache de gras depuis le siècle dernier ? Les poux et puces ont déserté depuis belle lune. Trop raides, les poils. Trop épaisse, la crasse. Trop puant, le lascar.
Marcel dort depuis plus de quinze ans dans un bâtiment désaffecté de la SNCF. Un entrepôt délabré qu'il remplit de boîtes de conserve, de bouteilles et de prospectus publicitaires. Son antre est à faire vomir un éboueur chevronné. Marcel, c'est le géniteur du Kilimandjaro d'ordures de l'Apocalypse. L'odeur de pisse, de merde et d'ordures fouette sauvagement autour de sa bauge. 
« Il doit habiter dans mon quartier parce que je le vois très souvent le long de la rivière. » « Reggaeman  doit squatter près de chez moi. Je le croise tous les jours  ou presque aux alentours de SuperMachin. » « Je le vois tous les soirs. Son repaire ne doit pas être bien loin d'ici. » On entend ça dans tous les quartiers. Et presque tous se trompent. Parce Reggaeman marche dans la ville à grands pas décidés. Toujours mal embouché. Toujours furieux. Toujours vociférant seul. Avec son rayon d'action, sûr qu'il doit parcourir vingt à quarante kilomètres chaque jour.
Marcel va manger le matin à la Halte du cœur. Une table pour lui seul. Personne ne s'installe à proximité. Le zonard le plus fâché avec la savonnette dit que Reggaeman pue à faire vomir un putois en décomposition, qu'il traîne une odeur de chacal avarié à vous tuer un bœuf à trente pas. 
Même les grandes gueules et les plus prompts à discuter avec les mains en ont peur. Marcel est méchant, toujours agressif. À jeun il est agressif. Ivre il est agressif. Il grogne des mots solidaires dont on ne comprend qu'un sur trois. Et encore : seulement grâce au contexte ou au geste de sa patte noire.  « Vire ! » « Manger. » « Boire. » « Argent. » « Encore. » Un vocabulaire de vingt-cinq mots. Même de l'aussi banal que bonjour, au-revoir ou merci ne fait pas partie de ses usages.
Pas de raison que la langue de bois soit l'apanage des politiciens ou du Medef. Les travailleurs sociaux ont inventé la langue de bois du travail social. Histoire de montrer qu'on est capable de causer comme un vulgaire DRH. Histoire de ne pas parler ouvertement des fois que ça choquerait. Histoire d'acheter la conciliation des politiques qui se demandent trop souvent si l'argent pour le secteur social est bien utile. Dans le jargon trav soc Marcel Reggaeman est un  « grand marginal ». Pour pas dire que c'est un dingue qui devrait être pris en charge par la psychiatrie. Pour pas dire que notre richissime société gavée porte la responsabilité de laisser partir à la dérive tous les reggaemen comme Marcel qui errent dans nos rues. Pour faire oublier que les archéologues ont exhumé naguère le squelette d'un gars de la préhistoire qui ne pouvait plus marcher depuis des années quand il est mort ; ce qui démontre qu'il avait été pris en charge par sa communauté même s'il était improductif.
Tous les « grands marginaux » comme Marcel, qu'est-ce qu'on en fait ? On les tue ? Puisque les gavés fuient en Suisse, en Belgique ou ailleurs vu que ces grands mâles dominants veulent plus partager le gibier trop abondant avec les ceusses qui restent au campement. Alors on les tue tous, ces putains d'assistés même pas assistés et tous ces salauds d'improductifs ? 
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Mon côté punk, Loïc Lantoine et François Pierron avec l'aide amicale de La Rue Kétanou pour finir les verres à la fermeture du bistrot. 




4 commentaires:

  1. Quel est le lien entre le doc "familles françaises en Suisse" et le texte ?

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    1. Les bâtiments (hôpitaux ou logements "normaux"), les médecins, infirmières et tout le personnel nécessaire ont un coût. Qui paie si on ne le fait plus via les impôts ? Il est devenu presque normal pour certains des plus riches de se comporter en pillards : je prends et je m'enfuis. Eh bien quand on met à sac un pays on laisse des gens dans la détresse. Ici un cinglé. Ailleurs des enfants, des infirmes ou des vieux.

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