Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

lundi 12 novembre 2012

Ça sent le choc de compétitivité


Les hasards de la conversation nous font démarrer la soirée sur le panier de « la ménagère » même si, en l'occurrence, ce sont les hommes qui discutent du prix des commissions. 
— J'ai acheté des carottes, des patates, des oranges. Des bricoles, quoi ! Juste le fond d'un cabas. J'en ai eu pour quinze euros et pourtant c'était au Liddl du quartier, pas chez Fauchon à Paris...
— M'en parle pas ! Je suis passé au supermarché cet après-midi et j'avais oublié ma carte bancaire. Avec cent euros sur moi je pensais que cela suffirait. Le fond du chariot à peine couvert, je vous prie de croire que je n'ai pas pris du caviar et un homard, et la caissière m'annonce cent deux euros et des centimes. J'ai beau savoir que les prix augmentent de façon délirante, j'en étais quand même sur le cul. Il m'a fallu retourner à la voiture chercher de la mitraille pour compléter. 
— Les magasins répercutent l'augmentation quand les prix mondiaux du riz explosent. Puis la spéculation passe à autre chose, les prix se stabilisent mais les magasins ne répercutent pas la baisse du prix de gros. Et puis, quand les prix mondiaux recommencent à valser, l'étiquette du riz en boutique reprend son ascension vers les sommets. Sans avoir connu la baisse... 
Les conversations, tu sais comment c'est. On passe d'un sujet à un autre sans même s'en apercevoir.
— Tu sais que Machin SARL, où travaille Bernard, est en cessation de paiement depuis mardi ? Une des deux dernières boîtes de la région dans leur domaine d'activité. Il y a soixante-quinze salariés dans la boîte, alors si Machin ne trouve pas les roros pour redémarrer, ce sera autant de chômeurs en plus. Et Truc SA, l'autre boîte du secteur, ne va pas bien non plus. Xavier, qui y bosse, me dit que ça sent le sapin presqu'aussi fort que chez Machin SARL.
— Si je comprends bien nous n'aurons bientôt plus une seule entreprise de ce secteur dans la région alors que c'est pourtant une activité qui ne se délocalise pas, même dans une région voisine !
— Faut dire que dans le département il y a plus d'une faillite par jour depuis le début de cette année. Même la Chambre de commerce s'en inquiète ! Que des petites ou moyennes entreprises dont pas un journal ne parle parce que cela ne fait pas des centaines ou des milliers de licenciements. N'empêche que l'addition de tous ces licenciements est croquignolette. Le nombre de clients s'en ressent...
— D'autres à s'en rendre compte sont les commerçants. T'as vu combien de magasins sont fermés rue Jaurès ? Une rue piétonne du centre-ville ! 
— Ah ça les petits commerces dégustent ! Mais les hangars des zones en périphérie ne sont pas en reste. T'as vu combien il y a de bâtiments fermés avec des panneaux d'agences immobilières ? Dans la Zone Est, le bâtiment, c'est même la vedette des articles à vendre ! Y'a plus de magasins et d'ateliers à reprendre que de bâtiments en activité !
— Faut dire que là-bas les corbeaux volent sur le dos pour ne pas voir la misère. Les premiers bâtiments ont été abandonnés voici plus de dix ans à en juger par la taille des arbres qui ont émergé des ronces... Faudrait être taré pour y ouvrir maintenant une activité quelconque où tu as besoin de faire venir la clientèle ! Il n'y a plus que des hérissons et des taupes sous les ronciers entre quelques ateliers encore actifs. Pôle-Emploi a eu une idée lumineuse d'installer un bureau au milieu de ce désert : l'arrêt de bus le plus proche est à un kilomètre, ça permet au chômeur de réfléchir en marchant...
Les gamins nous font un petit spectacle. Présentés par une princesse cowgirl dresseuse de Pokémons sauvages, les chevaliers pirates du cyberespace naviguent entre hip hop, capoeira et jonglage tandis que le chat apeuré se terre sous le divan. 
— J'ai engueulé mon patron parce qu'il a cessé d'acheter nos fenêtres en France. Maintenant on pose des fenêtres fabriquées en Roumanie. Trois à quatre fois moins chères pour une qualité à l'allemande. Le patron nous a expliqué que c'était ça ou bien arrêter la pose de fenêtres. En rénovation trop de clients renonçaient devant le montant des devis... Et en neuf, c'est le plus souvent la banque qui dit niet au projet de construction. Quand le fabricant français aura perdu trop d'entreprises clientes comme la nôtre, il mettra la clé sous la porte. 
— Et vous suivrez quand il n'y aura plus assez de salariés pour vous commander des travaux...
— Tu crois que c'est ça, le « choc de compétitivité » du gouvernement ?
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La blogueuse corOllule ne marche bien que pieds nus. Elle cite et incite à lire Nicolas Soulier et Jane Jacobs, des noms à découvrir, qui ont écrit comment la vie sociale informelle transforme rues et villes en endroits où l'on aimerait vivre. Comment l'absence d'initiatives permises aux habitants tue la ville. C'est passionnant même si, comme moi, tu es ignare en urbanisme. 
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Francky de Thibaud Couturier. L'équipe de rédaction d'un guide touristique a longuement et systématiquement testé l'accueil des bistrots toulousains. Enivrant ! ;o) 

2 commentaires:

  1. Ben oui mais… Personne nachète à l'agriculteur : c'est plus pratique le supermarché; donc il a plus de sous l'agriculteur alors il vend au supermarché super moins cher et le supermarché vous vend à vous avec ses frais à lui et il emploie des entreprises pour transporter, transformer et ces entre prises eh ben il leur faut des marges et oui : le plan d'épargne qui paye le permis à 1 € il faut bien qu'il soit équilibré alors les actions faut qu'elles aient des bénéfice. Alors on vous licencie vous, ben oui. Mais en fait, c'est vous qui vous êtes licencié : le système mis en place nous emprisonne avec le profit pour de rares gros et le travail pour les autres.

    Demain, j'arrête le supermarché, demain je me recentre sur ce qui m'est vraiment nécessaire, demain je produit mon salaire avec le travail de mes mains ou de mon cerveau à mon propre profit : comme le boulanger, comme le plombier, comme le médecin, comme l'infirmier et j'envoie chier toutes ces entreprises qui nous exploitent mais ne savent pas nous utiliser intelligemment : demain je serais indépendant.

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  2. Beau billet pour une triste époque... La boite de mon beauf a été rachetée, plus de 50 licenciements... Les ouvriers espèrent que le nouveau patron ne sera pas un incompétent doublé d'un escroc.

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