Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

mardi 3 juillet 2012

L'appartement d'Isabelle


La fille de l'agence immobilière téléphone à Isabelle un lundi matin. 
— J'ai un appartement qui pourrait te convenir mais il faudrait venir le visiter dès ce matin et me donner la réponse de suite. Si tu ne prends pas je passe l'annonce cet après-midi et suis sûre de le louer dans la foulée. Parce que c'est vraiment un coup à ne pas rater. 
C'est plus grand que ce qu'Isabelle recherche mais le montant du loyer est intéressant. Trois cents euros pour un quatre pièces de 95 mètres carrés. À ce prix, même si elles se connaissent bien, faut vraiment que la fille de l'agence insiste sur le fait que ce n'est pas un taudis immonde.
Isabelle visite l'appartement une heure plus tard. Les peintures sont neuves, l'appartement a été rafraîchi après le départ du dernier locataire. Fenêtres isolantes à double vitrage. Bonne isolation. État irréprochable. 
Pour un appartement proche tout du centre dans un quartier qui est le seizième arrondissement de notre métropole régionale, c'est vraiment pas cher. Même si les prix ont déjà lourdement chuté. 
— Tous les visiteurs tordaient du nez sur la marche ou les deux marches pour passer d'une pièce à l'autre. Il était à louer six cents euros mensuels. Et ça faisait dix mois qu'il était vide. On disait au propriétaire que c'était un peu trop cher à cause de ces fichues marches. C'est dingue quand on y pense. Les gens veulent bien un appartement au deuxième étage sans ascenseur mais ne veulent pas d'une marche entre deux pièces... 
C'est une maison du début du vingtième siècle qui a été modifiée à plusieurs reprises.
— Ce matin le propriétaire téléphone. Il a constaté qu'il y a très beaucoup de biens à louer en consultant internet. Il en a marre de voir son appartement vide et il baisse le montant du loyer de moitié ! Entre nous à l'agence, on avait pensé à une baisse de cent euros. Et on n'osait même pas le lui dire parce que tu sais combien les propriétaires sont chatouilleux sur le prix de leurs biens en vente comme en loyer...
Isabelle me raconte tout ça pendant qu'on fait son déménagement. Et, une fois l'hiver passé, me dit qu'elle n'a jamais payé une facture de chauffage aussi dérisoire tellement l'isolation, c'est quand même autre chose que son précédent hôtel des courants d'air. 
— Mon loyer a baissé d'un tiers pour un appart avec deux pièces de plus, ma facture de chauffage est divisée par trois, j'ai retrouvé un emploi juste après avoir emménagé. Elle est pas belle, la vie ? 
Isabelle me dit ça avec le grand sourire des jours meilleurs. Le propriétaire ne sait peut-être pas qu'avec ce logement à loyer modéré qui convient bien à la petite famille d'Isabelle, il a des locataires stables qui ne partiront pas durant les dix prochaines années.
Par curiosité j'ai recherché les logements à louer dans notre métropole régionale en écrivant ces lignes. Le bon coin propose tout près de 2600 logements. Seloger.com est plus modeste avec seulement 1550 logements à louer. Je n'ai pas poussé mes recherches au delà. Je me contente de lever la tête en marchant. 
Les grues sont un signe avant-coureur qui ne trompe pas. De nombreux nouveaux appartements seront bientôt disponibles. Dans tous les quartiers. Voici trois-quatre ans il n'y avait pas un appartement neuf proposé à la vente à moins de trois mille euros le mètre carré. Il n'y a maintenant plus un appartement neuf au dessus de deux mille euros le mètre carré. Les arbres ne montent pas jusqu'au ciel...

9 commentaires:

  1. Un signe effectivement ;) Ça commence à se décanter en province. Bien.

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  2. Je paie presque le double (c.c.) en HLM, pour un F2 (60m2) ! Et c'est pas dans l'équivalent du XVIè de ma métropole régionale à moi ... Le jour où l'alloc logement sera calculée sur ce qu'on débourse charges comprises, ça ira mieux.

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  3. Bien sûr, Zigomar, on pourrait imaginer un système d'alloc logement goupillé différemment. Mais il serait encore bien mieux d'imaginer un système qui change radicalement la donne. Plutôt que de continuer à verser des sommes importantes qui passent dans les poches de propriétaires, le système shadok, on pourrait bâtir un parc locatif gratuit. L'école est gratuite et personne n'objecte que ça coûte pourtant bonbon à la collectivité. On pourrait très bien dire que, comme l'instruction, le logement est une nécessité vitale et par conséquence un devoir de la collectivité envers tous ses membres. Avec un parc immobilier gratuit la spéculation en prendrait un bon coup dans la gueule...

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    1. Il faudra probablement plusieurs générations avant que des idées aussi progressistes ne se concrétisent. Pour le moment, la majorité des individus vous répondra que c'est utopique, surtout celle qui adhère aux thèses des partis de droite. Nous sommes dans un monde ou l'individualisme décomplexé fait loi. L'exemple de l'école est assez intéressant car le thème de l'éducation divise comme d'autres sujets. L'école publique est gratuite pour le moment mais pour combien de temps ? Un jour on considérera comme normal de scolariser ses enfants dans les établissement privés, ne serait-ce que parce que l'enjeu demeure la différenciation et la reproduction sociale. Le logement, comme l'argent sont des nécessités vitales, mais nous sommes encore trop peu évolués pour envisager le monde et la société autrement que comme une jungle où chacun assure sa survie comme il le peut. Le principe d'un par locatif gratuit semblerait aussi révolutionnaire que des propositions telles que le revenu de base ou le salaire à vie.

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  4. C'est grâce à la politique du logement de Chirac et Sarkozy ça. Et dire que la gauche va en retirer tout le mérite, ça me dégoûte. J'espère qu'Isabelle s'en rappellera en 2017 après que son loyer ait augmenté.

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    1. Le quotidien régional annonce une baisse généralisée dans la région... Et donne la parole aux pros de l'immobilier qui voient la baisse s'accentuer pour les trois à cinq prochaines années. Les désaccords portent seulement sur l'importance et le rythme de la baisse.

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  5. Ce genre "d'aventure" devrait être la norme et c'est l'exception. Au même titre que l'emploi, le droit à un logement décent à un prix abordable est une des bases d'un "contrat" social efficace.

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  6. Nihil, tu as parfaitement saisi le sens de cette chronique...
    J'ajouterai que 300 euros, c'est 2 000 francs et que, dans notre ville, c'était une jolie somme pour un loyer il y a une douzaine d'année. Cette histoire a un peu plus d'un an et l'on trouve maintenant chez moi des (petits) appartements à louer à partir de 150 euros. Et les propriétaires qui demandent 500 euros de se lamenter sur l'absence de réaction à leurs annonces...

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  7. eh ben t'es donc dans une ville qui a construit… c'est rare. Si je suis là où je suis c'est que j'ai trouvé un hlm en 1 mois à 350 € 40 m2, garage, bien isolé, jardin de 180 m2, quartier résidentiel fait de ces maisons de 3 apparts tous hlm, très calme. le rêve, je n'ai jamais si bien été logé de ma vie, et moi qui ai toujours eu la bougeotte, je n'ai même plus envie de voyager, pour dire…

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