Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

dimanche 15 juin 2014

« Tu resteras bien manger la soupe avec nous »

La gauche fonce dans le mur en chantant toujours les mêmes cantiques / 9
« Manger la soupe » demeure, dans le langage populaire, la manière la plus simple, et la plus juste, de décrire le repas quotidien. Même lorsque ce repas, comme certains soirs d'été au retour des grands travaux des champs, est un véritable banquet où se suivent les viandes, les poissons, et les bouteilles fines. Tout ce que l'on en retient, tout ce dont on fait état pour inviter quelqu'un à l'honneur de partager sa table, la joie de la moisson faite, la fierté de la récolte rentrée, tout ce qu'on lance au voisin qui a aidé, à l'étranger ou à l'ami que l'on veut retenir, c'est : « Vous resterez bien manger la soupe avec nous ? »

« Attention ! Nous sommes loin de l'offre désinvolte que l'on se fait trop souvent en ville : « Il faut absolument que vous veniez dîner à la maison, un de ces jours ». Ou entre hommes d'affaires : « Déjeunons quand vous voudrez ». Boutades hypocrites auxquelles il ne sera peut-être pas donné suite…

« Ici, l'on use pas de réserves mentales. « Restez manger la soupe » veut dire : « Vous êtes des nôtres. Restez pour partager avec nous, ce soir, non seulement la joie exceptionnelle de la fête, les vins et les rôtis, les charcutailles maison et les tartes rustiques, mais surtout ce qui fait d'ordinaire notre ordinaire, cette chose infiniment simple et humble et sans valeur marchande et commerciale, mais qui, à elle seule, nous faire vivre : la soupe ». 

Ainsi commence un livre de cuisine trouvé au hasard d'un vide-grenier. Lo topin de la Marieta (La marmite de la Marieta) de Françoise et Luc de Goustine, n'est pas un banal recueil de recettes et multiplie de telles remarques judicieuses. 

La compétition effrénée est la norme de notre société capitaliste. Les esprits en sont marqués au fer. Media comme politiciens ne cessent de nous opposer entre nous. Jeunes contre vieux, blancs contre basanés, « Gaulois » contre étrangers, de vague culture chrétienne contre tout aussi vaguement musulmane, hétéros contre homos, femmes contre hommes, « lève-tôt » contre chômeurs. Tu trouveras bien trois cents douzaines d'oppositions. 

La moindre virgule est prétexte à engueulades entre militants. Ré-instaurer parmi nous la culture du débat paisible, serein, courtois. Recréer entre nous la confiance qui fait défaut.

Ça passe par la discussion ? Mouais. Ça passe surtout par la fraternité d’une table partagée. Quand tu manges avec quelqu'un, vos divergences de vue restent courtoises. Peut-être même découvrirez-vous à force de tablées communes une proximité insoupçonnée. Un étatiste finira par accepter l'initiative créatrice d'un autogestionnaire et cessera de lui balancer dans la gueule que « c'est du privé » qu’il faut détruire au nom de la défense des services publics. Un républicain obsédé par les « Lumières » entendra qu'un libertaire n'est pas un affreux obscurantiste même s’il ricane de loupiotes s’accommodant si bien des diverses variantes du despotisme éclairé

Ce qui vaut pour le cercle des militants vaut pour tous. Après les branlées à répétition encaissées par la gauche nous devons larguer nos foutus tacots poussifs pour d'autres modèles. Oublier les certitudes. Oublier les catéchismes des chapelles rouges vertes noires. Cesser les homélies fort bien argumentées mais entendues par les seules grenouilles de bénitier rouge vert noir. Combien de textes savants — de leçons de catéchisme — sur les raisons de nos dernières branlées ? Ça fait trente ans qu’on en lit… T'en as pas marre de ces sermons ? T'en as pas marre des raclées et des régressions ?

Alors tourner la page. Rêver de nouveau. Faire deux exercices très difficiles pour des militants. 1) Se taire. Rester silencieux. Ah ça oui, je te l'ai dit, c'est trèèès difficile ! 2) Écouter. Se contenter d'écouter. Ah ça oui, c'est trèèès dur pour bien des militants. Écouter les voix discordantes dans un cadre où elles oseront s’exprimer. Revenir aux sources. Manger ensemble. Pas de banquets empesés servis par des traiteurs appointés. Pas de musique d’ambiance. Non, une simple tablée le militant muet écoute. Le menuisier et la caissière, le facteur et la chômeuse causent en partageant la soupe, « cette chose infiniment simple et humble et sans valeur marchande et commerciale, mais qui, à elle seule, nous faire vivre. »
——— 

Photo Des pas perdus, fournisseur officiel de pixels. Dans la veine de la bafouille du jour, la chanson du jour, « Les marchands » de et par Georges Moustaki.

6 commentaires:

  1. " Toto, mange ta soupe ! "

    Cette injonction si habituelle autrefois, dans des chaumières qui n'existent plus guère, que de fois fut-elle lancée ! Les dîners se réduisaient à cet humble plat parfois, un plat d'autant plus plat qu'il revenait souvent. De l'eau longtemps bouillie avec un poireau, que de litres on en tirait ! Avec du pain en fines lamelles ajoutées à la fin. Oui, c'est loin d'un repas chez McDo, mais sûrement plus sain. Et beaucoup moins cher. D'autant moins cher que cela éloignait le médecin.

    " Mange ta soupe, Toto ! "

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    1. Ouais j'ai connu ces soupes à faire pleurer...

      Chez moi on faisait de la soupe avec tout ce qui venait du jardin mais aussi tout ce que l'on cueillait dans les vignes, au bord des champs, dans les prés. J'ai connu une dame qui mettait dans ses soupes même ses salades montées et je me serais fait cambrioleur pour lui en chiper tellement qu'elles étaient bonnes...

      Les poireaux étaient sauvages et poussaient dans les vignes. On pouvait en ramasser de pleines brouettes avant les herbicides. Il m'a fallu en manger voici quelques années pour être sûr que mes souvenirs d'enfance n'avaient pas enjolivé la réalité : le poireau sauvage à côté du poireau cultivé c'est à peu près comme la truffe à côté du champignon de couche...

      J'ai conservé ma culture familiale de la soupe : elle ne vaut rien si la cuillère n'y tient pas debout et je ne sers jamais deux fois la même vu que les quantités fluctuent toujours autant que les ingrédients. ;o)

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    2. Parfois je m'abstiens, parfois j'écoute... Mais la leçon que tu donnes, su je puis dire, devrait être de mise pour "nos" responsables...

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    3. La leçon, la leçon... Ce sont les urnes qui donnent la leçon. Ce qui est sûr est que les vieilles recettes ont prouvé leur inefficacité. Alors faut bien se décider à reconnaître qu'on s'est planté et chercher autre chose. Moi, je propose d'aller voir du côté de ceux qui dérouillent. Parce que c'est d'abord à ceux qui votent avec leurs pieds qu'on doit demander pourquoi ils ne vont plus à la messe et ne croient plus ce que disent nos abbés. ;o)

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  2. Juste pour vous dire à quel point j'aime vous lire !

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    1. Merci. C'est gentil. Mon but, c'est de faire prendre en compte les plus mal lotis. Parvenir à faire entendre à nos éminences que nous vivons une régression insupportable dont ils sous-estiment l'impact. Si on veut être écouté, mieux vaut essayer d'être le mieux audible. Je fais qu'est-ce que je peux. Ici avec mon clavier, dans la vie quotidienne avec les gens que je rencontre...

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Vas-y pour tes bisous partageux sur le museau !