Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

jeudi 14 juin 2012

Maigres avancées de Grenelle


« Maigres avancées des accords de Grenelle. » C'est au détour d'une phrase dans une tribune libre rédigée par des gens de gauche. 
« Maigres avancées ! » Mieux vaut lire ça que d'être analphabète ! Grenelle, après mai 68, c'est une augmentation de 55 % du SMAG, le salaire minimum agricole garanti brutalement aligné sur le SMIG, le salaire « interprofessionnel »  qui ne l'était pas jusque là. 55 % en une seule fois quand le SMIG prenait, lui, quelque chose comme 35 % ! Avec mes yeux de gosse de la campagne j'ai vu de suite la différence  autour de moi. Et cette différence a persisté longtemps : le SMIG, puis SMIC, était indexé sur les prix jusqu'à la foutue « désinflation compétitive »  de Jacques Delors.
On a vu tous ces ouvriers agricoles et leurs familles sortir de baraques froides, sombres et humides appartenant à leurs « patrons »  après avoir « fait construire » des petites maisons, oh pas riches, mais bien plus confortables  que les taudis où ils vivaient depuis des générations. On se souvient de la hargne des « patrons », ces riches viticulteurs possédant villa à Biarritz et chalet à Courchevel, hargne qui dura toute la décennie 70. Et on se souvient de leur nouvelle trouille verte en 1981. Ils estimaient anormal que leurs « domestiques » puissent devenir propriétaires et s'affranchir ainsi d'une tutelle immémoriale. Combien d'ouvriers agricoles, qui n'étaient plus dépendants du logement du patron, qui pouvaient enfin passer le permis de conduire, qui coupaient ainsi un cordon ombilical séculaire, ont ensuite quitté l'agriculture pour des entreprises locales qui leur offraient de meilleures conditions de travail et de salaire ?
Souvenir des plaintes de ces viticulteurs auprès du député UDR lors des périodes électorales. Qui y répondait mi-sérieux mi-dérision. L'augmentation affolante des salaires ? 
— Bah, tu peux payer, alors ne te plains pas ! Tu aurais préféré être pendu au bout d'une corde en mai 68 ?
Et quand les oiseaux de proie insistaient trop : 
— Tu préfères que tes fermes deviennent un kolkhoze ? Tu préfères te retrouver cloué sur une porte de grange ? Non ? Bon, alors tu es d'accord avec nous pour négocier et lâcher du lest... Et là, tu n'en mourras pas !
Faut dire aussi que Mai 68, dans ma campagne, a été parfois... rude. Les gendarmes étaient réquisitionnés pour les grandes villes. Alors séquestrations, menaces personnelles, occupations musclées des petites usines. Les puissants ruraux en ont eu des chiasses vertes. Henry — avec le y du lys royal — Henry C. de la M., nobliau, propriétaire terrien, industriel en retraite, maire d'un gros bourg rural qui comptait quelques usines, a ainsi vu quelques centaines de grévistes s'inviter à plusieurs reprises dans son château et dans son parc. Là, les ouvriers étaient restés courtois, madame C. de la M. était âgée et handicapée, mais cela avait tout de même marqué les esprits. Michel, un métallo fils d'ouvrier agricole, qui avait pique-niqué avec ses camarades dans le parc de not' maît' not' maire, rigolait encore dans sa moustache en me racontant ça des années après. 
Vers 1980 un gros propriétaire — terres viticoles, important patrimoine immobilier dans une métropole régionale, beau portefeuille d'actions et d'obligations — se plaignait d'un de ses salariés. Et y'avait de quoi en effet ! Le gars avait « fait construire » et — ô épouvantable scandale pour le proprio ! — était en train d'aménager un (chouette) jardin paysagé autour de sa petite maison. Et ça, alors ça ! c'était vraiment le détail de trop qui restait en travers de la gorge du hobereau. Tu rajoutes le fait que le salarié avait un fils qui venait de passer avec succès un BTS de je ne sais quoi. 
— Si les enfants de nos domestiques deviennent ingénieurs, mais qui travaillera pour nos enfants ?
« Maigres avancées des accords de Grenelle. » Quand on signe une tribune libre dans un quotidien national, alors qu'on occupe un poste pas exténuant, trèèèèèèèèèèès bien rémunéré, avec garantie de l'emploi à vie, qu'on a sans doute des connaissances historiques qui restent bêtement scolaires, on a du caca dans les yeux.
Les auteurs de cette tribune voulaient marquer leur différence avec un parti qui n'est pas le leur. Mais ni leur parti — où je compte des amis — ni celui qu'ils voulaient éreinter — où je compte des amis —  ne sont en cause. Et c'est pour cela que je ne nomme pas ces partis. Les auteurs des « maigres avancées » ne font que marquer leur origine sociale d'où on ne voit tout simplement pas ce que je viens de te raconter.
———
Cette chronique fait suite à un billet récent du Cri du peuple, j'y reviendrais, et à Des pas perdus : " L'auteur ne mentionne jamais [...] les conditions de vie des classes populaires, les luttes, la répression patronale et étatique, les droits arrachés à l'oligarchie, ce qui est somme toute assez surprenant pour un livre qui retrace l'histoire de la gauche... » 
———
Jehan Jonas chante en 1967 une vieille tradition typiquement locale, une spécialité de son terroir natal que la France, que dis-je ? le monde entier nous envie. Goûte-moi ça ! Sa chanson est intitulée Flic de Paris.  



7 commentaires:

  1. Décidément quelle époque... La droite classique a oublié la Libération, et une certaine gauche tombe dans le relativisme crétin.

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour cet aspect de 1968 dans nos campagnes, qu'en tant que citoyen urbain je ne connaissais pas (l'aspect, pas les campagnes, quoique...la preuve !).
    Et une citation de Jehan Jonas sur un blog est suffisamment exceptionnelle pour que je claviérise ma reconnaissance: immense auteur compositeur (qui n'aura pas vécu longtemps) dont j'écoute encore la poésie virulente et colorée. D'accord, les arrangements de ses chansons datent un peu, beaucoup, mais le coeur des oeuvres est beau à en pleurer parfois.
    Merci.

    RépondreSupprimer
  3. @ Nihil

    Certes Jehan Jonas est peu cité mais lui, il a au moins été réédité : je possède notamment un coffret de quatre disques compacts. Combien d'autres grands talents n'ont jamais eu cela ? Je songe à Jean-Max Brua resté à l'état de 33 tours alors qu'on lui doit des monuments impérissables.

    Reviens me lire et tu auras encore l'occasion de trouver des citations musicales de derrière les fagots.

    RépondreSupprimer
  4. Ca fait un moment que je te lis, mon ami,et en plus je diffuse, dans l'ombre ! Mais je suis d'un naturel "taiseux", (enfin ça dépend...).
    Je ne connais pas Brua, je vais fouiller; merci de l'info.
    :-)

    RépondreSupprimer
  5. En fait ce que vous partagez avant tout c'est votre propagande... Triste gauche qui étale son altruisme de pacotille comme une médaille, divisant le monde entre bons et méchants, puisque eux sont dans le camps des gentils.

    RépondreSupprimer
  6. ( dézlé pour l "anonymat" / ton blog a l ' air de pas vouloir prendre mon URL / ou , plus vraisemblablement , c ' est moi qui me démerde comme un manche ! LoL ! )
    Merci pour Sète page , pour ce blog - Toutes les luttes resteront stériles , improductives , tant qu ' on ne mettra pas + en avant notre sensibilité , nos sentiments , notre amitié , amour , désir ... - C ' est le soleil de notre liberté , ce à quoi le combat doit aboutir - Le plus vite sera le mieux ! Pourtant ici aussi la tâche reste immense ! On pourrait croire qu ' à l ' inverse des chiffres du partage des richesses , 99% des artistes sont inféodés au libéralisme et aux riches , contre 1% d ' esprits libres et fiers : justement non ! ces soit-disant artistes ne sont seulement que ceux qui occupent le terrain de la culture diffusée soigneusement verrouillée par les pouvoirs en place et sont une minorité - La vraie culture malheureusement crève de faim elle aussi et est la + nombreuse - Hélas , ou tant-mieux , il n ' existe pas de syndicat de l ' amour ! N ' oublions pas que la vraie culture nourrit les luttes , et vice-versa - Bien amicalement - Au fait , pour répondre à Briand - s ' il veut qu ' on lui ouvre les yeux : il ne s ' agit pas de dire que le gauche serait " gentille " - juste que les riches sont MECHANTS !!! / et puis , un peu de baume au cœur , écoutez " Zoufris maracas " - ( c ' est mieux sur youtube que leur disque sur Deezer ) -

    RépondreSupprimer
  7. @ Briand

    En trois lignes vous m'avez donné envie de vous répondre. Ma réponse sera longue et à chapitres multiple sous le titre "Les jours heureux".

    @ Anonyme

    Reviens me lire. Il se trouve que je prépare des textes sur l'avenir du Front de Gauche où tu trouveras sans doute quel miel doux à tes envies.

    RépondreSupprimer

Vas-y pour tes bisous partageux sur le museau !