Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

vendredi 6 janvier 2012

Térésa

C'est une petite vieille toute ridée. Ses habits disent de suite qu'elle est étrangère et tsigane. Elle boîte dans les rues avec une canne. Elle fait la manche. Entre nous, on la nomme "la grand-mère" puisqu'on lui donne l'âge d'être notre mère ou grand-mère. 

On discute. Térésa dort où elle peut. Sous une bâche, dans une usine désaffectée, dans un squatt insalubre. En compagnie de sa famille. 

On sympathise. Un jour elle nous tend un portefeuille avec tous les papiers qui racontent l'histoire de la famille. 

La carte d'identité révèle que Térésa a deux ans de plus que moi ! Pas vingt-cinq ou trente...

Une déclaration de naissance faite avec retard et validée par le tribunal. Un rendez-vous avec un service social pour la mère, sa belle-fille. 

Un jugement de placement en assistance éducative. Le jugement dit que ces gens vivent dans dans un trop grand dénuement pour que l'on leur laisse le bébé.

"Les papiers" racontent l'histoire toute simple de gens qui souhaitent parvenir à s'installer en France et y trouver du boulot. Pour être habilités à reprendre leur petite-fille et fille née en France. Pour faire venir en France la sœur aînée de quatorze ans. "Mais pourquoi s'obstinent-ils à revenir en France ?" Ah ça ! Suffisait de demander. On est bien loin des "vacances en France" alléguées par un service social bien de chez nous... C'est la deuxième année ici après une année passée en Roumanie à rechercher du boulot sans succès. Après avoir été rapatriés de force comme une tapée de Rroms roumains et bulgares.

Térésa vient de Copșa Mică en Roumanie. Copșa Mică  ! Bon, d'accord, on veut bien que des travailleurs sociaux ne soient pas férus d'écologie, de gwerz bretonne ou même d'histoire contemporaine mais on peut se renseigner. Tu tapes dans ton moteur de recherche. Copșa Mică a acquis une célébrité mondiale. Dantesque pollution industrielle par les métaux lourds. Monstrueuse pollution au charbon. Taux de mortalité infantile à plus de trente pour cent ! Troubles neuro-comportementaux pour dix pour cent de la population.

Au désastre écologique et sanitaire s'ajoute la catastrophe sociale. Fermeture d'une usine sur deux dans les années 90. Licenciement sélectif des Rroms. Faut rappeler que l'esclavage a été aboli en Roumanie, légalement en 1864, mais en pratique par le régime communiste après la seconde guerre mondiale. Et que les esclaves, bien sûr, c'étaient les Rroms. Ça laisse des traces dans les mentalités d'aujourd'hui...

Térésa marche avec vaillance, et avec béquille, dans les rues de la ville. Le bon coin pour la manche. Le restaurant social. Les entreprises qui embauchent — de la main d'œuvre très qualifiée, pas chère et sans charges... — fils et gendres à la sauvette. L'association caritative qui va donner une couverture pour les nuits... Et il faisait moins huit la nuit cet hiver-là ! On a eu les mille difficultés à faire héberger Térésa et les siens par le 115 (service téléphonique pour l'hébergement d'urgence). 

Un président BCBG d'association caritative a écrit à la DDASS et à la préfecture : "D'une manière générale il semble que les portes ne s'ouvrent pas trop facilement devant cette famille. Même s'il est vrai qu'elle tente de s'installer chez nous dans un va-et-vient avec le pays d'origine pour respecter les délais légaux de séjour, il m'apparaît impossible, au nom des affirmations des plus hauts responsables politiques de notre pays d'une part [Sarkozy avait promis pas longtemps avant qu'il n'y aurait plus de SDF], des engagements de la loi DALO d'autre part [qui venait d'être votée], de ne pas leur proposer, au moins pendant la période hivernale, de solution d'hébergement d'urgence stable."

Le réseau de solidarité pour Térésa et sa famille a aussi impliqué un punk à chiens vivant à mi-temps dans son camion, des étudiantes en carrières sociales au dynamisme échevelé et des militants politiques qui ont hurlé dans les bureaux d'un bureaucrate "cadre social". 

On a finalement réussi à loger au chaud Térésa et sa famille. Pas sans mal. Et il fallait renouveler chaque jour la demande d'hébergement.

Ah, je ne t'ai pas dit. Parmi ceux à coucher dehors dont ne voulait pas le 115 il y avait un petit-fils de Térésa âgé de quatre ans.

Je te parle d'un temps révolu. Aujourd'hui, pour cause d'économies, il y a beaucoup moins de lits disponibles au 115.

5 commentaires:

  1. Nous aimerions savoir à quoi ont été utilisés les fonds remis à la Roumanie par l’Union Européenne pour aider à l’intégration des Roms.

    Ceux-ci sont d’ailleurs régulièrement encouragés par les autorités à repartir en Roumanie moyennant une prime de 300euros par adulte et 100euros par enfant mais malheureusement ensuite ils reviennent aussi vite après quelques jours passés dans leur pays !

    Cette situation ne peut plus durer. Seule Marine le Pen propose de remettre en cause les accords de Schengen sur la libre circulation des personnes : la France reprendra le contrôle de ses frontières.

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    1. La prime de 300 E$ est peut être adaptée pour un pays comme le Mali; en Roumanie, où les médicaments , le chauffage sont plus chers qu'en France , c'est dérisoire... et une incitation, s'ils ne sont pas emprisonnés à leur arrivée -dans des conditions interessantes-, à retenter leur "chance"....

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    2. le Prolo du Biolo1 novembre 2012 à 06:21

      Vous n'avez même pas lu le texte pour avoir une réaction aussi nulle. Et ça s'appelle "le prétorien"..., pauvre indécent !

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  2. Les Rroms étaient parfaitement intégrés. Mais le souvenir de l'esclavage demeure très vivace en Europe centrale. En 1989 un entrepreneur magyar me crachait sa haine de voir un "putain de Tsigane" lui faire concurrence avec succès dans l'exportation d'articles textiles vers l'Allemagne et l'Autriche... Le communisme avait eu au moins cet aspect positif d'imposer l'égalité sans considération d'origines pour le moins fort lointaines.

    Si nous fermons nos frontières, faudra aussi rapatrier nos compatriotes qui bossent à l'étranger qui fermera ses frontières. Un jeu à somme nulle...

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  3. comment parler de Marine le pen qui n'a a proposé que la haine de l'autre celui qui est différent est obligatoirement fautif de sa différence.
    Et si on decidant de mettre au banc de la société les faibles moralement comme les acooliques ou les fumeurs et bien on pourrait la mettre en premier car elle clope à mort! Tout le monde porte une marque , une différence c'est aussi cela la richesse de l'Homme.
    Bien cordialement

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Vas-y pour tes bisous partageux sur le museau !