Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

jeudi 21 juin 2012

Travaux de Georges Navel (3)


« L'idée de me faire un sort, de gagner une situation ne m'accrochait pas. Il faut avoir eu sérieusement et longuement la faim au ventre pour s'accommoder de seulement gagner sa vie dans une forme d'existence douloureuse et insipide. Ces années de 1919-1920, ces années de confiance et d'espérance exagérées m'avaient marqué. J'avais trop rêvé à la société future, je ne savais plus vivre dans celle-ci. Après le doute, les illusions libertaires m'avaient quitté par arrachement. Je restais pénétré de la légitimité des aspirations révolutionnaires, mais je ne croyais plus à leur réalisation.
Un rentier peut être un sceptique, un industriel être un réaliste persuadé de la nécessité absolue du salariat, de la division de la société en classes comme en nations, de l'existence nécessaire des armées permanentes et des guerres périodiques. Mais l'ouvrier persuadé que le salariat, le travail moderne sont l'équivalent de l'esclavage antique, est atteint fortement dans sa dignité. Il ne peut accepter sa condition qu'avec une foi profonde dans le progrès social ou la révolution.
Mon père était un résigné. L'usine lui semblait manquer de justice  avec les vieux travailleurs. Ses chefs l'avaient irrité. Il avait vécu plus simplement sa vie de brave homme : un peu d'amertume, aucune révolte. Il n'avait pas eu besoin du bon dieu pour affermir ses pas. Dans les moments de doute ou de fatigue, boire un peu plus ce jour-là lui avait suffi. Ah ! que j'aurais voulu ressembler à mon père. »
Dernier extrait de Travaux de Georges Navel. Jean Giono n'a jamais su manier la brosse à reluire. Alors on peut lui faire confiance quand il écrit au sujet de Travaux : « Cette patiente recherche du bonheur qui est la nôtre, nous la voyons ici exprimée avec une bonne foi tranquille. »
Un voisin trentenaire travaille dans l'entreprise publique de transports en commun de notre agglomération. Il me raconte ces jeunes qui viennent bosser dans la boîte. Pas motivés pour un rond. Pas intéressés par ce qu'ils font. Regardant davantage leur montre que toute autre chose. Il en voit passer beaucoup et c'est toujours la même chose. Quelle jeunesse ! 
— La boîte n'est tout de même pas gigantesque. Pourquoi diable voyez-vous passer une telle noria de jeunes ? 
— Ils ont un contrat de six mois qui n'est pas renouvelable. De plus, comme ils ne font que vingt heures, tous les postes sont doublés. On ne prend que des emplois aidés pour faire des économies.
— Et ça vous étonne que vos jeunes ne soient guère motivés par ce qui ne sera qu'un bref moment parmi d'autres dans une carrière professionnelle qui ne sera peut-être peut-être ainsi faite que de tels sauts de puce dans un océan de chômage ? Puisqu'il faut être au chômage depuis un certain nombre de mois pour avoir « droit » à un emploi aidé.
— C'est vrai que je n'avais jamais pensé à regarder la situation en prenant en compte cet aspect de la chose.
———
Georges Moustaki, Il y avait un jardin, enregistrement public, 1970.

1 commentaire:

  1. ton anecdote me donne une idée d'article sur du vécu ;-))

    Quant au bouquin en question, je me le réserve pour mes très prochaines vacances...

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Vas-y pour tes bisous partageux sur le museau !