Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

mardi 3 juin 2014

Du côté de chez Swann

La tête rasée, des tatouages partout, des fringues façon Tintin après des aventures qui ont maculé, sali, déchiré. Swann a 19 ans la première fois que je le rencontre. Marche à côté d’un vélo de luxe. Le maraudeur qui m’accompagne connaît l’oiseau.

— Facile à tirer ?
— Putain non ! Deux antivols à niquer… Et des putains d’antivols !
— T’en veux combien ?
— Vingt euros. J’ai vu seulement après avoir niqué les antivols que le salopard avait aussi enlevé sa selle pour qu’on lui fauche pas. Fais chier ! Avec la selle j’en aurais tiré cinquante euros.
— Bah ! Tu restes compétitif pour un bijou qui tape à largement plus de mille balles en magasin…
— Ouais, mais moi, me faut la thune maintenant. Pas demain matin. Alors faut bien qu' j’adapte le prix à mon acheteur qui va surtout voir la selle qui manque… 

Swann a passé son enfance balloté de foyer en foyer. Personne n’a songé à le retenir au delà de ses 18 ans. Bon, le matériel, ça se remplace, on a une ligne budgétaire pour ça. Mais les éducs ont pas trop le goût pour la boxe sauvage. 

Alors, depuis, Swann squatte ici ou là. Un voisin le voit entrer dans une caravane sous un hangar. Va prévenir la dame de la Croix-Rouge sise juste à côté. Ça part d’un bon sentiment. C’est mieux que d’appeler les keufs. 

— Swann ! Je sais que t'es là ! Sors ! Tout de suite !
— Putain, con, merde, fais chier ! Qui c’est le salaud qui m’a cafté ? fait Swann de l’intérieur de la caravane.
— Personne. Y’a que toi pour faire ça ! C’est toi qui fais chier ! 

La dame souhaite conserver de bonnes relations avec le voisinage. Elle connaît bien sa clientèle. Y’en a pas un autre, dans tous ses protégés, pas un autre qui viendrait squatter le hangar juste à gauche de la Croix-Rouge quand juste à droite de la Croix-Rouge une maison à l’abandon fait portes ouvertes à la zone à iroquoises et treillis sans que personne n’y trouve à redire.

On croise Swann un soir de teuf. Ça fait bien dix fois que je le rencontre au même coin de la même place mais il ne me remet pas. Le bras rouge-violacé enflé comme un boudin XXXL. Ça lui fait un mal de chien. Un shoot qui a merdé sévère. On lui conseille les urgences. Pas sûr qu’il y soit allé. Mais peut-être que si finalement. Automédication impossible. À cette heure de la soirée on ne plus engourdir discret une boîte de paracétamol dans une pharmacie pour avaler dix ou vingt comprimés avec une boîte de 8,6. [Incise pour ceux de Guermantes, 8,6° c’est le degré alcoolique de la bière attitrée du zonard.]

Swann n’a guère plus de vingt ans quand le juge l’envoie au château pour lui apprendre les bonnes manières. Une année de sevrage à la dure pour un polytoxico. La zonzon, une église dit que c’est pour l’exemplarité. Une autre chapelle, que c’est pour la dissuasion. Une autre encore, pour l'éducation.

Le jour même de sa sortie de prison, Swann a tellement abusé de tout ce qui se fume, se sniffe, s’ingère, s’injecte, qu’il est resté à comater dans une cave les quatre jours suivants
———

Photo Des pas perdus. Elisabeth Wiener chante depuis les alentours de 1970. Créatrice d'un groupe de meufs qui sillonnait les routes sous le nom de Castafiore Bazooka. Ici, le groupe, dans le droit fil de sa tradition personnelle, se nomme Callas Nikoff. En vrac elles chantent : Il est vraiment chelou ce keum ripou / Qui vient déro autour de ouam / Fait iech ce keum / Il est vraiment zarbi / Sa chetron me donne le sonfri / Sa chetron de gleubi / Me donne la chair de lepou.   

5 commentaires:

  1. Tout ça c'est la faute au chom'du.

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  2. Y'a un débat en cours au sujet de la prison et des peines de substitution. Ça m'a donné envie d'y mettre mon grain de sel. Pas dans l'abstraction mais en prenant un simple exemple vécu...

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  3. la gauche enfin si tentée qu'elle existe encore est un véritable champs de ruines, bref comment s’étonner après cela que tout parte à volo tant au niveau individuel que collectif...Ce qui m'afflige moi c'est comment notre pays en est arrivé la avec cette masse de pauvres sans que la gauche on temps ou elle le pouvait le faire ne réagisse pas.

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    1. L'attitude face aux pauvres, comme face aux fous, comme face à tous les déviants, est un indice important pour déterminer le degré d'humanité d'une société.

      On retourne dans les ténèbres d'une époque où l'on éliminait les non-productifs. Sans avoir l'excuse du manque de viande ou poisson des indiens du Grand Nord...

      La gauche ne peut / pouvait pas réagir à cette situation : elle en est responsable. Quand Hollande refuse d'augmenter le SMIC, il fragilise les (encore) salariés mais aussi il affame tous ceux dont le niveau de ce SMIC sert de référence à une myriade de choses dont les retraites. Alors laissons tomber le mot "gauche" pour d'autres à notre convenance (anarchisme, communisme, socialisme ou autre.)

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