Partageux rencontre des personnes cabossées par notre société libérale, change leur identité et ne mentionne ni son nom, ni sa ville pour qu'on ne puisse les reconnaître. « Devant la servitude du travail à la chaîne ou la misère des bidonvilles, sans parler de la torture ou de la violence et des camps de concentration, le "c'est ainsi" que l'on peut prononcer avec Hegel devant les montagnes revêt la valeur d'une complicité criminelle. » (Pierre Bourdieu) La suite ici.

jeudi 7 février 2013

À vendre


Automne 2005. Un panneau artisanal sur la façade. « À vendre, particulier à particulier, x mètres carrés, téléphone... » La maison ? Ordinaire. Ni plus belle ni plus moche qu'une autre maison construite autour de 1970. De la construction solide où le maçon n'a pas pleuré les matériaux. Dans une rue de métropole régionale et pas au fond de la cambrousse. Si près de chez moi que tous les jours je passe devant. Le temps passe. Le panneau passe. 
On peine à le lire quand, après plus de deux ans, le panneau est remplacé par celui de Machin, une agence immobilière. 
Et puis ainsi va la vie, tu sais ce que c'est. Le panneau de l'agence vieillit comme nous tous au fil du temps. Et l'agence finit par remettre un panneau neuf. 
Printemps 2010. Ah tiens ! Ça y est ! Le panneau, deuxième de l'agence, troisième de la façade, a été retourné. « Vendu par l'agence Machin ». Enfin ! Depuis le temps qu'elle était à vendre, cette maison ! Et puis zut, deux mois plus tard, le panneau est re-retourné. « À vendre. Agence Machin. » Si le compromis de vente n'a pas été retoqué par une banque c'est sûr que ça y ressemble bien. 
Automne 2011. Tiens ! Y'a plus le panneau de l'agence Machin. Ça me fait tout drôle de passer chaque jour devant « ma » maison toute nue. Tant d'années que j'ai l'habitude de la voir habillée... Elle reste ainsi plusieurs semaines sans cache-sexe. J'en suis tout retourné. Faut pas me changer comme ça mes petites habitudes. 
Et puis un matin. Ah ! Voilà le panneau de l'agence immobilière Truc. Machin, c'était un panneau classique vieillot, du daté 1970 comme la maison. L'époque col pelle à tarte, large cravate voyante et costard bleu-pétrole. Avec Truc on entre dans la modernitude. Les couleurs sont fluorescentes, le graphisme à la mode qui trotte et le téléphone de l'agence est carrément un 06 ! Ta ta ta ! On va voir ce qu'on va voir. 
Sûr que maintenant elle va changer de proprio cette maison ! Avec des djeun's qui ont même un site internet — www.ouaouh ça décoiffe ! — sûr qu'y vont trouver rapido le nouveau propriétaire dont « ma » maison rêve depuis l'automne 2005.
L'année 2012 s'avance tranquillou à raison de sept jours chaque semaine. Et on sait bien que dans ces conditions, c'est pas facile. Tu comprends bien. Avec en plus la conjoncture qui...
Février 2013. Le panneau pendouille, lamentable, sur la façade. Le plastique est avachi et les belles couleurs sont bien ternies. Si tu veux lire le numéro de téléphone, te faut une échelle pour déplier le plastique tout ratatiné sur lui-même. 
Bien sûr « ma » maison est toujours à vendre. L'entretien devient urgent. Y'a pas que le panneau qui flanche. Les volets toujours fermés sont très très très sales. Une descente d'eau pluviale fuit en inondant le mur de façade. Alors la mousse verte pousse sur le crépi en compagnie de lichens rouge-brique et d'une coulée de caca noirâtre. La maison n'est plus habitée depuis l'automne 2005 et ce que ça fait dedans commence à drôlement se voir dehors. 
Derrière les maisons il y a des gens. Qui causent sûrement au bistrot. « Les visiteurs qui font rien qu'à se promener sans acheter. Les discuteurs qui n'ont pas le budget. Les agences immobilières qui savent pas vendre. Les banques qui prêtent pas. Le gouvernement qui fait pas ci. L'opposition qui fait rien qu'à ça. Les jeunes qui veulent rien faire. La France qui veut plus travailler. » Tu connais la musique...
Manque juste un très léger détail. Une babiole. Un rien. Qui serait assez ouf pour acheter une baraque de 1970 au prix du mètre carré d'un chouette château de la Loire ?
———
Hervé Suhubiette, chanteur toulousain. La bicyclette, dédiée à Pauline Julien, chanteuse québécoise atteinte d'aphasie dégénérative qui mettra fin à ses jours pendant qu'elle le pouvait encore. 



8 commentaires:

  1. Réponses
    1. J'aime bien ton ironie. ;o)

      Et il est vrai que l'on entend bien souvent cette phrase comme justification de tous les engrenages coincés. Y compris quand c'est, comme pour cette maison, coincé depuis plus de sept ans.

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  2. Y a pas que les maisons qui coincent...

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    1. Les maisons, honnêtement, on s'en fout. Mais qu'il soit si difficile de se loger, à un prix correspondant à nos moyens, est bien plus sérieux. L'histoire de cette maison est juste un exemple pratique de la folie du monde dans lequel nous vivons...

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  3. très bon doc sur arte à propos entre autre de la bulle immo : Quand l'Europe sauve ses banques, qui paye ?
    http://vimeo.com/60631219


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  4. Carole de Lille4 mars 2013 à 10:20

    merci pour le partage de la vidéo sur Pauline comme disent les québécois, une foule énorme avait participé à son enterrement.

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  5. Mon pauvre ,
    Tu viens d'être nominé, pour la troisième fois, au moins, à 'La Question', un grand concours où il n'y a rien à gagner, même au tirage.
    http://www.libellus-libellus.fr/article-la-question-chaine-bloguesque-116171742.html
    Il en va de ton honneur, simplement.
    Tu liras attentivement le règlement et les 11 questions sournoises auxquelles tu dois répondre.
    On peut répondre en dessin.

    Une cellule psychologique a été mise en place pour toi.

    Tu es dans les liens de Libellus, ça, c'est redoutable.
    Les nouvelles questions de Lou sont... de Lou, ça te fera un changement : - )))

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